Une journée de mobilisation des aides à domicile, baptisée « 24 heures sans aide à domicile », aura lieu le 23 septembre. Les près de 700 000 aides à domicile, en première ligne durant la crise sanitaire, sont les « grandes oubliées » du Ségur de la santé ou des plans de relance, en dehors d’une prime ponctuelle de 1 000 euros, en réalité rarement obtenue en totalité. Elles sont à 97 % des femmes, sous-payées, aux conditions de travail extrêmement difficiles, subissant l’isolement professionnel, la précarité et le temps le partiel imposé. Qui plus est, elles relèvent d’une myriade de statuts : entre le secteur associatif non lucratif (la branche de l’aide à domicile), le privé lucratif (les services à la personne), le public (du secteur hospitalier ou des collectivités locales) et, enfin, le particulier employeur.
Mais elles ont en commun d’être toutes précarisées, aussi bien dans le secteur privé que dans le public : on estime entre 70 % et 90 % le temps partiel dans ce secteur, un temps partiel imposé ; 58 % travaillent le samedi ; 41 % le dimanche. Mais ce temps de travail rémunéré ne couvre pas tout le temps de travail réel. Afin de baisser le coût, et partant pour contourner le smic, les employeurs ne rémunèrent pas une partie du travail : celui lié au relationnel. En réalité, « ces emplois ne sont pas à temps partiel, mais sont payés à temps partiel », comme le disent les économistes François-Xavier Devetter et Emmanuelle Puissant (Le Monde du 15 juin 2020). De plus, l’amplitude de la journée de travail peut dépasser les douze heures. Des aides à domicile racontent qu’elles travaillent plus de cinquante heures hebdomadaires, tout en étant payées à temps partiel !
Les aides à domicile font partie de ces métiers du soin et du lien aux autres, très féminisés, qui sont dévalorisés. On ne reconnaît pas leur qualification, ni l’expertise et la technicité pourtant essentielles pour faire face à un public invalide, malade ou âgé. On ne tient pas compte du réel degré de responsabilités lorsqu’elles ont à porter, à accompagner des patients parfois en fin de vie. On nie enfin l’importance des contraintes physiques et nerveuses de ces emplois. Rappelons que les accidents du travail y sont trois fois plus fréquents que la moyenne (94,6 accidents pour 1 000 salariées) !
Revalorisation et reconnaissance pour toutes
C’est parce que ces emplois sont très féminisés et s’appuient sur des compétences considérées comme « naturelles » pour les femmes (aider, soigner, accompagner, nettoyer, écouter…) qu’ils sont sous-payés. Cette dévalorisation du travail et ces modes de comptabilisation du temps de travail expliquent les bas salaires dans ce secteur. Il existe encore, dans certaines conventions collectives, des minima qui sont en dessous du smic horaire ! Du fait du temps partiel, le salaire médian pour une aide à domicile est en moyenne de 900 euros brut, bien loin du smic mensuel (cette rémunération est variable selon les conventions collectives et la détention ou non d’un diplôme du secteur). 17,5 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté, soit deux fois plus que l’ensemble des salariés. Elles ne bénéficient pas ou très peu d’évolution de carrière et la majorité est toujours au smic après dix-sept ans d’ancienneté.
Lire le reportage : « On se rend compte qu’on n’est pas seules » : des aides à domicile en mal de reconnaissance font leur tour de France
Certes, une revalorisation de leurs salaires de 13 % à 15 % est enfin adoptée pour l’une des conventions collectives, celle du secteur associatif. Mais cette hausse est encore loin du compte. De plus, qu’en est-il des autres, celles qui relèvent des conventions collectives du secteur privé lucratif, ou bien du public ? Pour toutes, la revalorisation de leur salaire et de leur carrière, la reconnaissance de leurs qualifications professionnelles ne sont toujours pas à l’agenda du gouvernement ni de la négociation des conventions collectives concernées.
Alors que leur rôle est essentiel, que leur métier fait partie des enjeux forts des sociétés de demain,alors que leur travail est aussi un levier d’émancipation des femmes qui sont majoritairement des aidantes, il est temps de construire un grand service public de l’aide à l’autonomie, avec un financement de la perte d’autonomie au titre de la maladie par la Sécurité sociale et avec de vraies garanties sociales et salariées pour toutes ces professionnelles.
Christelle Avril, sociologue, EHESS ; Ana Azaria, présidente de Femmes égalité ; Fatima-Ezzahra Benomar, militante féministe ; Sophie Binet, dirigeante de la CGT chargée des droits des femmes ; Thomas Breda, économiste, Ecole d’économie de Paris ; Clément Carbonnier, économiste, université Paris-VIII ; Mireille Carrot, pilote du collectif « aides à domiciles » de la CGT ; François-Xavier Devetter, économiste, université de Lille ; Annie Ernaux, écrivaine ; Nicole Gadrey, sociologue ; Jean Gadrey, économiste ; Widad Hamri, porte-parole d’Osez le féminisme ! ; Caroline Ibos, sociologue, université Paris-VIII ; Florence Jany-Catrice, économiste, université de Lille ; Danièle Kergoat, sociologue ; Séverine Lemière, économiste, Université de Paris, Réseau MAGE ; Yannick Le Quentrec, sociologue, université Toulouse-Jean-Jaurès ; Amandine Maraval, directrice du LAO et CHU, association FIT Une femme un toit ; Christiane Marty, Attac ; Dominique Méda, sociologue ; Nathalie Morel, Sciences Po ; Sophie Pochic, sociologue, CNRS, réseau MAGE ; Emmanuelle Puissant, économiste à l’université Grenoble Alpes ; Rachel Silvera, économiste,université Paris-Nanterre, réseau MAGE.
Collectif
Tribune publiée dans Le Monde le 22 septembre 2021