Grâce au rapport de force, nous avons réussi à ce que le texte issu du premier round de négociation en 2018 soit plutôt bon. Le groupe des travailleuses et des travailleurs va donc le défendre, et ne proposera que quelques amendements essentiels pour ne pas risquer l’enlisement des discussions. Cependant, le patronat va faire feu de tout bois pour tenter d’empêcher l’adoption d’un texte contraignant.

Pour être adopté, le texte doit être voté par deux tiers des pays. Une majorité très exigeante ! Ajoutons que de nombreux pays, dont peut être la France, vont conditionner leur vote au fait que la convention soit facilement ratifiable c’est à dire qu’elle ne nécessite pas de changement dans la législation nationale. Il y a donc un risque sérieux que les textes soient vidés de leur contenu !

À suivre la revue de ce que contient le texte proposé par le Bureau International du Travail (BIT) https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—ed_norm/—relconf/documents/meetingdocument/wcms_673729.pdf qui servira de base à la négociation.

Le texte proposé par le BIT est une convention – texte qui une fois ratifié par les Etats est contraignant, et s’impose au droit national- complétée par une recommandation précise et détaillée

Convention

  • Le préambule fait référence aux principaux textes de l’ONU et aux normes fondamentales de l’OIT. Il précise notamment que « la violence et le harcèlement dans le monde du travail constituent une forme de violation des droits humains ». Les pays anglo-saxons, États-Unis en tête veulent supprimer cette formulation pour éviter que les victimes ne puissent s’appuyer sur les textes fondamentaux de l’ONU notamment… Une façon de minimiser les violences sexistes et sexuelles et de faire des femmes des êtres humains de seconde zone. Rappelons qu’elles représentent 50% de l’humanité…

 

  • Article 1 : La convention protège du continuum des violences et du harcèlement, qu’ils se produisent une seule fois ou de manière répétée. La définition des violences et du harcèlement est donc large et identifie les violences fondées sur le genre, ce que conteste le patronat qui veut limiter aux violences physiques et ne souhaite pas qu’il y ait une approche spécifique des violences fondées sur le genre

 

  • Article 2 : La convention couvre l’ensemble des travailleuses et travailleurs quel que soit leur statut et les protège de toutes les violences en lien avec le travail.

Le patronat veut ajouter les employeurs à la liste des personnes protégées par la convention. Derrière cet amendement se cache un cheval de Troie pour le patronat qui veut essayer d’instrumentaliser cette convention pour remettre en cause le droit de grève. Si si, vous avez bien lu! La technique:  faire passer la grève, du fait de ses dommages économiques, pour une violence contre les employeurs !

  • Article 3 : La convention concerne le « monde du travail », et s’applique sur le lieu de travail, mais aussi sur les lieux de repas, les vestiaires et sanitaires, le logement lorsqu’il est fourni par l’employeur, durant les déplacements professionnels et pendant les trajets entre le domicile et le lieu de travail.

Le patronat est en désaccord avec ces définitions qu’il trouve trop larges. Pour désamorcer leur opposition, le projet de texte précise pour les trajets domicile/travail que cela ne s’applique que dans la mesure où c’est « raisonnable et pratiquement réalisable ».

  • L’article 4 précise qui peut être auteur ou victime de violence : les travailleurs, les tiers (clients, usagers…) et les employeurs. On retrouve ici la tentative du patronat d’instrumentaliser la convention pour remettre en cause le droit de grève, en lien avec leur amendement de l’article 2.

 

  • L’article 5 définit les obligations des États. Il risque d’être remis en cause ou affaibli par les gouvernements parce que les prescriptions sont précises avec notamment :
    • Interdire en droit la violence et le harcèlement
    • Garantir l’accès à des moyens de recours et de réparation ainsi qu’à un soutien pour les victimes
    • Garantir l’existence de moyens d’inspection et d’enquête efficaces pour les cas de violences et de harcèlement par le biais de l’inspection du travail ou d’autres organismes compétents

 

  • L’article 7 impose aux Etats l’ « adoption d’une législation garantissant l’égalité et la non discrimination », notamment « aux travailleuses et autres personnes appartenant à un ou plusieurs groupes vulnérables touchés de façon disproportionnée par la violence et le harcèlement ». Cet article a été au cœur de la négociation de l’année dernière, puisqu’il contenait auparavant une liste de groupes vulnérables dans laquelle figurait notamment les LGBTI. Après de multiples rebondissements, cette liste a été renvoyée à la recommandation pour conserver une formulation large et inclusive dans la convention. Conscients que cela constitue une ligne rouge pour de très nombreux pays, et notamment pour les 54 pays africains qui constituent le principal soutien à la convention, les employeurs font de la surenchère et vont demander à ce que les LGBTI figurent dans la convention et la recommandation… Oubliant que dans leurs pays ils sont les premiers à refuser de mettre en place des mesures contre les discriminations subies par les LGBTI. Et ne craignant pas la contradiction, alors que ce sont les mêmes employeurs qui ont refusé que la convention identifie spécifiquement les violences fondées sur le genre…

 

  • L’article 9 impose aux États de recenser les « secteurs, professions et modalités de travail qui exposent davantage les travailleurs et travailleuses à la violence et de prendre des mesures pour les protéger de façon effective ». Cet article est un point d’appui pour gagner des mesures collectives de protection pour celles et ceux qui travaillent la nuit, dans la sous-traitance, sur des emplois précaires ou dans des secteurs non mixtes par exemple.

 

  • L’article 10 définit les responsabilités des employeurs et sera donc beaucoup discuté, avec un amendement des employeurs pour que leur responsabilité dépende de leur « degré de contrôle »…

 

  • L’article 11 liste les mesures que les États doivent prendre pour garantir les droits des victimes. Il risque d’être remis en cause ou affaibli par les gouvernements parce que les prescriptions sont précises avec notamment :
    • La garantie d’accès pour les victimes à des procédures de plainte et d’enquête sur le lieu de travail et à l’extérieur
    • Des mesures de protection des victimes et témoins contre les représailles
    • Des mesures d’assistance juridique, sociale, médicale ou administrative pour les plaignants et victimes
    • La reconnaissance des effets de la violence domestique sur le monde du travail et la mise en place de mesures pour y remédier
    • La garantie que les travailleurs et travailleuses puissent se retirer de situations de travail en cas de danger grave et imminent sans représailles
    • La possibilité pour l’inspection du travail d’ordonner l’arrêt du travail en cas de danger grave et imminent

 

  • L’article 12 prévoit une approche inclusive, transversale et intégrée et exige donc que la question de la violence et du harcèlement soit traitée dans toutes les politiques nationales pertinentes

 

Recommandation

La recommandation constitue une forme de guide d’application de la convention. Elle contient de nombreuses dispositions concrètes, dont certaines n’existent pas en France. Elle précise à chaque fois ce que les États « devraient » faire, verbe que certains gouvernements veulent remplacer par « pourraient » pour transformer la recommandation en simple guide de bonnes pratiques.

  • L’article 4 de la recommandation prévoit la promotion de la négociation collective à tous les niveaux sur la violence et le harcèlement, ce que les employeurs contestent. En France la CGT vient de gagner l’ajout du sujet à la négociation de branche. Par contre, cela ne figure pas dans les thèmes de la négociation d’entreprise
  • L’article 10 prévoit la mise en œuvre de mesures spécifiques pour protéger les travailleuses migrantes quel que soit leur statut migratoire
  • L’article 13 liste les groupes particulièrement vulnérables. Il a été au cœur de la discussion De l’année dernière puisqu’il identifie notamment à juste titre les LGBTI, ce qui pose problème aux nombreux États dans lesquels des législations discriminatoires existent encore. Le groupe des travailleuses et travailleurs soutient cette rédaction et s’opposera à la suppression des LGBTI de la liste. Cependant, pour garantir l’adoption de la convention, nous soutiendrons des rédactions de compromis n’excluant aucun groupe vulnérable.
  • Les articles 14 et 15 listent les moyens de réparation qui doivent être garantis aux victimes et notamment : la réintégration dans l’emploi, la réparation de l’ensemble du préjudice, la prise en charge des frais de justice
  • L’article 16 détaille les moyens de recours qui doivent être mis à disposition des victimes et notamment : des tribunaux possédant une expertise dans les affaires de violence et de harcèlement fondées sur le genre, des procédures rapides, des conseils et une assistance juridique pour les victimes, le déplacement de la charge de la preuve dans les procédures ne relevant pas du droit pénal.
  • L’article 17 liste les dispositions à mettre en place pour réparer les dommages subis par les victimes.
  • L’article 18 liste les mesures à prendre pour remédier aux effets de la violence domestique sur le monde du travail, et notamment : un congé payé pour les victimes, des horaires de travail flexibles, le droit à la mobilité géographique, la protection temporaire des victimes contre le licenciement, l’évaluation des risques sur le lieu de travail propres à la violence domestique. Certaines de ces dispositions existent déjà en Nouvelle Zélande (10 jours de congés payés notamment), au Canada (5 jours de congé payé minimum), Australie (5 jours de congés sans solde), Philippines (10 jours de congés payés), Espagne et Brésil (autorisations d’absence), Italie. Ces dispositions sont déterminantes pour protéger les femmes victimes, qui trop souvent sont contraintes de renoncer à leur emploi pour pouvoir s’éloigner et se protéger de leur conjoint violent. En France, alors que 220 000 femmes sont victimes de violences conjugales, et qu’environ 130 sont assassinées chaque année, l’ensemble des organisations syndicales françaises demandent depuis plusieurs années la mise en place de ce type de mesures.