Chronique de Rachel Silvera via Alternatives Economiques
Une tribune parue dans Libération le 23 mai 2024, initiée par le collectif Grève féministe et appuyée par des associations féministes et des syndicats, montre comment le Rassemblement national (RN) instrumentalise la cause des femmes et dévoile son antiféminisme.
Fait important, après de longues années où les femmes votaient moins pour le Front national (puis le RN) que les hommes, elles votent désormais autant qu’eux pour ce parti, placé en tête des intentions de vote aux élections européennes du 9 juin 2024.
Le candidat RN aux élections européennes, Jordan Bardella, a tenté à diverses reprises de se montrer proche des femmes. Il a osé déclarer le 4 mars 2024 sur TF1 « nous devons refuser qu’une seule femme en France puisse un jour s’inquiéter de voir un de ses droits reculer », alors que son parti s’est toujours opposé notamment au droit à l’avortement.
Les votes et les alliances du RN
La tribune passe au crible tous les votes du RN concernant des résolutions européennes ayant trait aux droits des femmes. En novembre 2020 et 2021, les élu·e·s RN se sont opposé·e·s à une résolution condamnant la Pologne pour son interdiction de l’avortement. Elles et ils se sont abstenu·e·s sur l’introduction de l’avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux.
En 2021, c’est un vote contre une résolution prévoyant des formations contre le harcèlement sexuel dans les institutions de l’Union européenne (UE). L’eurodéputée RN Annika Bruna justifie sa position en soulignant que « les hommes ne sont pas tous des coupables en puissance nécessitant d’être rééduqués par les féministes ».
Cette même eurodéputée dénoncera les risques de conditionner les aides européennes à des actions en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et déplore que « la maîtrise de la démographie et des migrations » ainsi que « la menace de l’islam » pour les femmes ne soient pas davantage abordées.
En 2022, le Parlement européen vote pour un salaire minimum européen, fondé sur un « niveau de vie décent » pour chaque Etat membre. Cette avancée concerne en grande majorité des femmes, les plus nombreuses parmi les bas et très bas salaires. Parmi l’ensemble des eurodéputé·e·s français·e·s, seul le RN vote contre, au prétexte que cette question relève d’une compétence nationale.
En 2023, le RN s’abstient lors de l’adoption de la Convention d’Istanbul, sur « la prévention de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ».
De même, sur les questions d’égalité au travail, il s’abstient lors de l’adoption du troisième plan d’action de l’UE.
Abstention encore sur la directive européenne sur la « transparence et l’égalité des rémunérations », directive essentielle, que j’avais eu l’occasion de présenter dans une autre chronique, pour enfin avancer vers l’égalité réelle des rémunérations entre les femmes et les hommes, pour un travail égal ou de même valeur.
Les alliances du RN au Parlement sont aussi très révélatrices de leurs réelles convictions : le RN est rattaché au groupe Identité et Démocratie, aux côtés de la Lega de Matteo Salvini, membre de la coalition gouvernementale italienne de Georgia Meloni. Ce gouvernement avance masqué, mais fait tout pour contrecarrer le droit à l’avortement, en laissant entrer par exemple des militants anti-avortement dans les centres de consultation familiale.
De même et jusqu’à peu, le RN s’affichait au côté de l’AfD (Alternative für Deutschland), parti fasciste, visant la déportation de deux millions de personnes d’Allemagne, considérées comme « non assimilées ».
Certes, le RN a annoncé qu’il ne siégera plus au côté de l’AfD lors du prochain mandat, depuis les déclarations très controversées de ce parti allemand visant à réhabiliter les SS. Mais cette démarcation tardive s’inscrit simplement dans une entreprise de « dédiabolisation du RN », à l’approche des élections européennes.
Des positions antiféministes et racistes
La défense des droits des femmes par le RN n’est qu’un habillage. Partout où l’extrême droite est au pouvoir en Europe (comme en Italie, en Hongrie ou en Pologne récemment), les droits des femmes sont mis à mal, comme ceux des minorités sexuelles et des immigré·e·s.
La même tribune rappelle les positions du RN lors de la constitutionnalisation du droit à l’avortement en France, le 4 mars 2024, où onze parlementaires RN s’y étaient opposé·e·s.
Autre thème récurrent, en mars 2023, en plein conflit autour de la réforme des retraites, Jordan Bardella préconisait une politique nataliste pour financer les retraites. La famille reste le « premier maillon de la communauté nationale », la démographie est le pilier de leur modèle « social ».
Sous l’apparence de nouveaux droits, des propositions de « revenus pour mères au foyer » ou d’un « droit des femmes à rester chez elles », ou encore d’une « libre répartition du congé parental » assignent en réalité les femmes à leur rôle maternel, mais aussi d’aidante familiale auprès des parents dépendants.
Le député RN Jocelyn Dessigny, déjà sanctionné pour propos sexistes à l’Assemblée nationale, en septembre 2023, lors des débats sur la loi Plein-emploi conditionnant les aides sociales à des heures d’activité, ose affirmer :
« Nous partons du principe qu’une mère au foyer, elle est peut-être mieux à la maison à s’occuper des enfants. »
Face à l’avalanche de critiques, il poursuit :
« Je suis choqué par vos idées liberticides selon lesquelles les femmes n’auraient pas le droit de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants et devraient les confier à d’autres. »
Oubliant au passage le rôle éventuel des pères dans l’équation…
Le racisme, à peine masqué, est aussi latent : le RN veut « réserver le système social français, et notamment les allocations familiales aux familles françaises ». Ce rejet des immigrés est d’ailleurs instrumentalisé à la cause des femmes.
La tribune rappelle :
« Nous n’oublions pas que le RN prétend que les violences faites aux femmes et aux filles sont majoritairement commises par des immigrés. Alors que les études attestent que ce sont en majorité les proches, notamment dans la famille, qui sont les agresseurs. »
Les idées d’extrême droite infusent et se banalisent. C’est le cas avec le Pacte asile et migration adopté par le Parlement européen le 10 avril 2024 qui durcit les règles d’accueil aux frontières.
C’est le cas aussi en France, où la loi Immigration a repris l’idée du RN de « priorités nationales », finalement en partie retoquées par le Conseil constitutionnel, ou encore avec les attaques contre l’Aide médicale d’Etat.
C’est encore le cas avec le retour d’une politique nataliste, affirmée par Emmanuel Macron avec l’idée de « réarmement démographique ».
Oui, le RN est bien l’ennemi des droits des femmes. Son double discours ne doit pas nous tromper.