Le 17 octobre, la cour d’appel de Paris rendra une décision importante dans l’affaire dite “French Bukkake”. Les dizaines de victimes des crimes de l’industrie pornographique devront-elles se contenter d’une justice au rabais ?

Quatre ans. Cela fait plus de quatre ans que les 42 victimes qui se sont portées parties civiles dans l’affaire dite « French Bukkake » attendent le procès des hommes qui les ont exploitées sexuellement. Dans cette affaire dévoilant les rouages criminels de l’industrie pornographique française, 17 hommes ont été mis en examen pour viols en réunion, traite d’êtres humains en bande organisée et proxénétisme aggravé.

Les violences que ces femmes ont subies sont insoutenables. Manipulées et prises au piège par un rabatteur, elles ont été violées à de multiples reprises. Le dossier d’instruction contient des centaines d’heures d’images de violences sexuelles extrêmes.

L’une des victimes associe les multiples viols qu’elle a subis à de la torture : “J’ai été violée 240 fois, ce n’est pas de la torture ça ? Quatre-vingt-huit fois sur le bukkake, quarante-quatre fois en une heure. Je sais que j’ai été violée, ce n’est pas ça le sujet, le sujet c’est la torture. Aucun humain n’est capable d’absorber quarante-quatre pénétrations en une heure.”

Ces femmes ont en outre été soumises à des mises en scène et des actes sadiques, volontairement
déshumanisants, à des souffrances aiguës, des étouffements prolongés, des pénétrations multiples et simultanées (vagin, anus, bouche), Ces femmes ont indiscutablement été torturées.

Pourtant, la circonstance aggravante d’actes de tortures n’a pas été retenue par le juge d’instruction dans son ordonnance de mise en accusation en 2023. Les circonstances aggravantes de sexisme et de racisme non plus, alors même que les insultes racistes et misogynes pullulent dans les vidéos. La plupart des parties civiles ont donc fait appel de cette décision.

L’abandon de ces circonstances aggravantes est un déni de justice pour les victimes. Au passage, la justice laisse impunie la dimension la plus anti-sociale de ces crimes, leur dimension déshumanisante, raciste et sexiste, ce qui profite aux accusés qui n’auront pas à répondre de l’intégralité de leurs actes. Encourant une peine de 20 ans de réclusion criminelle tout au plus, ils peuvent alors être renvoyés devant une cour criminelle départementale, au lieu de comparaître devant une cour d’assises et de faire face à une peine de 30 ans, voire à la perpétuité.

Cette déqualification inacceptable des violences est rendue possible par la généralisation récente des cours criminelles départementales. Censées répondre à l’engorgement des cours d’assises et améliorer la réponse judiciaire – notamment en matière de viols – ces cours ont en réalité permis l’apparition d’une nouvelle forme de minimisation des viols : les juges d’instruction et les parquets peuvent être tentés d’écarter certaines circonstances aggravantes ayant accompagné les crimes, afin de pouvoir les renvoyer devant une cour criminelle plutôt qu’une cour d’assises. L’affaire French Bukkake en est un exemple flagrant.

Nous, associations, partis politiques et syndicats, attendons beaucoup de la décision que prendra la chambre de l’instruction le 17 octobre. Sept ans après le début du mouvement #MeToo, en plein procès des violeurs de Mazan, nous ne pouvons accepter que les viols soient encore minimisés par l’institution judiciaire et des victimes sacrifiées pour des motifs budgétaires.

Organisations signataires :

Personnalités signataires :
Françoise BRIE, ancienne directrice de la Fédération nationale Solidarité Femmes
Laurence COHEN, ex-sénatrice, co-rapporteure de la mission d’information sénatoriale Porno: l’enfer du décor
Marie-Hélène FRANJOU, médecine
Pascale MARTIN, ex-députée
Maud OLIVIER, ex-députée, rapporteure de la loi contre le système prostitutionnel
Céline PIQUES, présidente de la Commission Violences du Haut Conseil à l’Egalité, rapporteuse du
rapport Pornocriminalité
Lorraine QUESTIAUX, avocate et militante féministe
Sabine REYNOSA, militante féministe et syndicale
Laurence ROSSIGNOL, sénatrice, ex-Ministre des droits des femmes
Céline THIEBAULT-MARTINEZ, députée