Par Rachel Silvera via @AlternativesEconomiques

Une femme sur deux (contre 46 % des hommes) – et surtout 63 % des ouvrières, 56 % des salariées du privé et 57 % des familles monoparentales – mettent le pouvoir d’achat dans les trois sujets qui les préoccupent le plus (c’est même la priorité n°1 pour un quart des femmes). C’est ce qui ressort d’une étude rédigée par Amandine Clavaud de la Fondation Jean Jaurès et Laurence Rossignol de l’Assemblée des femmes sur les perceptions et attentes en matière de politique et de féminisme à partir d’une enquête réalisée par l’Ipsos auprès de 11 000 personnes, publiée le 11 octobre 2024.

Ce résultat s’explique bien sûr par les effets de l’inflation, mais plus généralement par les réalités économiques et sociales des femmes « en miroir des inégalités professionnelles et salariales » qu’elles subissent. Rappelons que la dernière étude disponible de l’Insee établit à 23,5 % l’écart de revenus entre les femmes et les hommes et que 59,3 % des smicards sont des smicardes.

L’étude montre que des attentes vis-à-vis du gouvernement en matière d’égalité professionnelle sont plus fortes parmi les moins diplômées. Si les femmes cadres semblent plus satisfaites des mesures adoptées dans ce domaine – la sociologue Sophie Pochic parle « d’une égalité élitiste » –, ce n’est pas le cas pour celles qui perçoivent de bas salaires et qui sont dans une forte précarité. Les mères isolées sont à ce titre tout particulièrement concernées car elles sont davantage exposées à la pauvreté, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner dans une autre chronique.

A la différence des hommes qui placent la question de l’insécurité en second, la santé est la priorité n°2 des femmes (35 % des femmes le placent dans les sujets les plus préoccupants, contre 29 % des hommes), ce qui correspond en partie aux résultats du rapport annuel du Conseil économique, social et environnemental (Cése). La préoccupation pour la santé augmente avec le fait de vivre en zone rurale (39 %).

Selon les autrices de l’étude, « les femmes sont les premières à être confrontées aux manquements de notre systèmes de soins ». Outre le manque de professionnels de santé dans certains territoires, l’enquête fait référence aux nombreuses fermetures de maternités, notamment de proximité, et aux difficultés d’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans certains départements, notamment en zone rurale.

L’accès à la santé touche également davantage les femmes plus âgées (c’est une priorité pour 38 % des femmes de plus de 60 ans). Le vieillissement, les questions de dépendance, de maladie et d’isolement concernent en effet tout particulièrement les femmes qui sont elles aussi plus souvent pauvres et précaires, avec des pensions de retraite bien inférieures à celles des hommes.

Parmi l’ensemble des femmes, 86 % (contre 84 % des hommes) sont favorables au renforcement du système de santé dans les petites villes, « même si cela peut conduire à une hausse des impôts ».

Féministe, oui mais…

Neuf personnes interrogées sur dix soutiennent l’égalité femmes-hommes. Même si seulement six sur dix se disent féministes, il y a une progression de dix points par rapport à une enquête similaire, réalisée dix ans auparavant. En lien avec l’effet du mouvement #Metoo, on assiste à une prise de conscience collective des enjeux féministes.

Bien sûr, les femmes sont toujours plus nombreuses à être favorables à l’égalité et à vouloir aller plus loin (91 % d’entre elles et 85 % des hommes). Mais elles sont nettement moins nombreuses à se déclarer féministes (64 % pour 58 % des hommes).

Ce terme ne fait toujours pas l’unanimité. Et c’est du côté des hommes que les réticences, voire l’hostilité, est la plus grande : 15 % des hommes refusent d’aller plus loin sur l’égalité et ils sont tout de même 42 % à rejeter le féminisme…

Les femmes se déclarant féministes sont particulièrement jeunes (75 % des 18-24 ans) et diplômées (73 % des bac+5). Elles votent également plus souvent à gauche (81 % des femmes à gauche se déclarent féministes pour 56 % de celles à droite).

On assiste à un « modern gender gap » (le fait que les jeunes femmes soient plus progressistes que les jeunes hommes)qui se repère dans la forte propension des jeunes femmes à voter à gauche et à se déclarer féministes, comparées aux jeunes hommes pour lesquels les thèses masculinistes font leur chemin : les jeunes hommes sont les moins favorables à aller plus loin vers l’égalité (moins que les hommes de 60 ans et plus). Parmi eux, on assiste à une polarisation entre ceux totalement favorables à la cause féministe (15 %) mais aussi ceux qui y sont radicalement opposés (15 % également).

Ces résultats confirment les données fournies par le baromètre annuel sur le sexisme du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : 22 % des jeunes hommes de 15-24 ans et 25 % de 25-34 ans pensent « qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter dans la société » ou encore pour 39 % d’entre eux, « le féminisme menace la place des hommes dans la société ».

Ce « modern gender gap » parmi les jeunes générations se repère aujourd’hui même aux Etats-Unis, où le clivage – entre jeunes hommes votant pour Donald Trump et jeunes femmes pour Kamala Harris – semble se confirmer.

Priorité à la lutte contre les violences et à l’égalité professionnelle

Parmi les actions attendues du gouvernement figurent loin devant les questions de violences : la lutte contre le harcèlement scolaire (93 % des femmes), le harcèlement de rue (91 % des femmes) et les violences sexistes et sexuelles (89 % d’entre elles, soit 5 points de plus que les hommes). Vient ensuite la lutte contre les inégalités professionnelles, les salaires notamment, mais également le sort des familles monoparentales et dans une moindre mesure la question de l’accès des femmes aux postes à responsabilité.

Certes, la lutte contre toutes les violences sexistes et sexuelles est une priorité reconnue indépendamment du genre, et quelle que soit la couleur politique du vote, mais la question des inégalités professionnelles est davantage portée par les femmes et par les courants politiques de gauche.

On le sait, les femmes votent davantage pour l’extrême droite qu’auparavant. Aux dernières élections législatives, deux blocs se sont en réalité dégagés parmi les femmes : 31,5 % d’entre elles ont voté pour l’ensemble des partis de gauche et également 31,5 % ont mis leur bulletin dans l’urne pour les partis d’extrême droite (c’est le cas de 36,5 % des hommes).

Cette étude révèle que ce sont les électeurs et électrices votant à l’extrême droite qui sont le plus hostiles à l’égalité et au féminisme : parmi les 39 % de personnes qui affichent ne pas être féministes, 57 % ont voté Les Républicains, 51,4 %, Reconquête ! et 48,5 % pour le Rassemblement national (RN). A l’inverse, 76 % des personnes votant à gauche se déclarent féministes (soit 14 points de plus que l’ensemble).

La religion joue également un rôle : si 61 % de l’ensemble se déclare féministe, c’est le cas de 65 % des personnes sans religion mais seulement de 55 % des personnes de confession protestante, 54 % catholique, 47 % juive et 46 % musulmane.

Mais lorsque l’on demande quels sont les partis politiques les plus engagés sur les droits les femmes, 45 % des femmes et 35 % des hommes pensent qu’aucun parti n’est vraiment engagé sur cette cause…Certes, 30 % (28 % des femmes et 32 % des hommes) pensent que les partis de gauche sont les plus crédibles, mais 15 % ont tout de même retenu le RN… Le travail de dédiabolisation de ce parti fonctionne, y compris sur le chapitre des droits des femmes, malgré toutes les dénonciations qui ont pu être formulées, ici même

Portrait de Rachel Silvera en dessin
Rachel Silvera Maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre