Chronique de Rachel Silvera dans Alternatives Economiques https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/a-une-loi-cadre-integrale-violences-aux-femmes/00113311

Le 25 novembre dernier, journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, le gouvernement Barnier avait annoncé de nouvelles mesures contre ces violences, réaffirmant faire de ce combat « sa priorité », en plein procès des viols de Mazan.

Mais alors que les manifestations du 23 novembre 2024 avaient regroupé pas moins de 100 000 personnes, le gouvernement, qui n’était pas encore démissionnaire, n’avait formulé que quelques annonces portant sur des dispositifs déjà existants, et avait peu répondu aux attentes du mouvement féministe pour une véritable loi-cadre intégrale.

A ce titre, que les femmes victimes de violences sexuelles puissent déposer plainte partout dans un hôpital est une disposition déjà en place, qui ne concerne en réalité que les établissements dotés d’un service d’urgences ou gynécologique. En fait, plus des deux tiers des 377 hôpitaux concernés ont signé une convention à ce jour, permettant à chaque femme de déposer plainte et c’est à l’hôpital de contacter le commissariat ou la gendarmerie.

Notons qu’aujourd’hui, une soixantaine de ces établissements vont même plus loin, et procèdent au recueil de preuves des violences sans plainte. Un dispositif particulièrement précieux quand, en 2022, seulement 6 % des victimes de violences sexuelles et 15 % des victimes de violences conjugales ont porté plainte, selon le ministère de l’Intérieur. Mais la secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes du gouvernement Barnier avait annoncé que la généralisation de cette préservation des preuves sans plainte n’était pas à l’agenda…

Quid des annonces contre les violences sexuelles ?

Autre mesure annoncée fin novembre, le lancement d’une campagne d’information pour aider les victimes potentielles de soumission chimique. Née à l’occasion du procès des viols de Mazan, elle a été initiée par l’association M’endors pas, cofondée par la fille de Gisèle Pelicot et la plate-forme d’écoute du Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (Crafs), en partenariat avec l’Ordre des pharmaciens.

Des kits de détection de soumission chimique seront remboursés par l’Assurance maladie dans plusieurs départements, à titre expérimental et selon un calendrier encore à définir. La lutte contre la soumission chimique passerait aussi par la formation « tout au long de la carrière » des acteurs de première ligne : forces de l’ordre, magistrats, avocats, soignants. Mais Salima Saa, la secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes aujourd’hui démissionnaire, a reconnu que ces dispositifs existaient déjà et n’a évoqué aucun moyen supplémentaire.

Qu’adviendra-t-il des annonces sur l’aide universelle d’urgence ? Conçue pour aider les victimes de violences conjugales et les soutenir quand elles quittent leur domicile, elle devait voir son budget augmenter et passer de 13 millions d’euros dans la loi de finances pour 2024 à 20 millions d’euros dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025.

Cette aide, qui peut aller de 240 euros jusqu’à 1 330 euros selon les situations, est en moyenne de 800 euros. Depuis son lancement en 2023, cette mesure a bénéficié à 33 000 personnes, un chiffre pas si élevé si on le compare aux 271 000 victimes de violences conjugales. Les associations féministes déplorent par ailleurs que cette aide ne soit pas accordée aux victimes de violence en situation irrégulière.

L’ex-Premier ministre prévoyait enfin de doter chaque département d’une maison des femmes d’ici 2025. Mais cette promesse avait été formulée dès mars 2023 par la Première ministre d’alors, Elisabeth Borne…

Pour une nouvelle loi intégrale

Les mesures phares portées par les féministes n’ont pas été évoquées : que ce soit la création de centres de prise en charge spécialisés, accessibles 24h /24 et offrant des soins multidisciplinaires aux victimes de violences sexuelles (comme en Belgique ou en Espagne) ou encore, le remboursement à 100 % des soins psychologiques et thérapies en psychotraumatisme.

Alors que plus de 60 associations féministes ont rédigé une proposition en vue d’une loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles, que j’ai eu l’occasion de présenter dans ma précédente chronique, le gouvernement Barnier n’a répondu en rien à ces attentes. Lorsque cette question a été portée à l’Assemblée nationale, le mardi 26 novembre 2024, le ministre sortant des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Paul Christophe, avait jugé « prioritaire » la mise en œuvre des lois existantes, plutôt que le lancement d’une nouvelle.

Le gouvernement démissionnaire s’était engagé à augmenter le budget consacré à l’égalité femme-hommes de 10 %. Mais ce qu’exige cette coalition féministe n’a rien à voir avec ces montants car c’est entre 344 millions et 2,2 milliards d’euros que se situent les besoins en la matière.

Une loi-cadre intégrale doit prendre en compte tous les aspects de la lutte contre les violences sexuelles : la prévention, la sensibilisation de la population, l’accompagnement des victimes dans l’emploi, la santé, le parcours judiciaire, des sanctions et des suivis socio-judiciaires des agresseurs avec des programmes spécifiques, des tribunaux dédiés aux violences sexistes et sexuelles composés de magistrat·es formé·es et motivé·es, ayant des compétences à la fois pénales et civiles.

De même, les victimes de violences conjugales doivent bénéficier de nouveaux droits leur permettant de se maintenir au travail, comme le suggère la recommandation 206 de l’Organisation internationale du travail. Et comme le revendique un communiqué de la CGT, les prérogatives des conseiller·es des salarié·es doivent être également étendues à l’accompagnement des victimes de violences sexistes et sexuelles pour couvrir les besoins des très petites entreprises (TPE) et des entreprises sans représentation du personnel.

Une fois encore, l’exécutif s’était contenté d’effets d’annonces, se limitant à du « feminisme washing », sans s’attaquer à la racine de ce problème majeur. Espérons que le nouveau gouvernement attendu dans les prochains jours accordera une vraie place à la lutte contre toutes ces violences et à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Portrait de Rachel Silvera en dessin
Rachel Silvera Maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre