Insultes, pression psychologique, violences sexuelles… Au travail comme dans la sphère personnelle, les violences peuvent prendre de multiples formes. Dans un ouvrage à paraître au mois de mars 2020, l’Ined explore les différentes facettes des violences dans le cadre professionnel. Il en ressort que 20,1 % des femmes et 15,5 % des hommes déclarent avoir subi au moins un fait de violence au cours des douze mois précédant l’enquête. Parmi ces personnes, huit sur dix se disent victimes de violences multiples ou plurielles, ce qui fait des violences au travail un « risque systémique », selon l’Ined.
Les violences sexuelles et sexistes, dont sont majoritairement victimes les femmes, sont le fait d’hommes de tous statuts
Une femme sur cinq et près d’un homme sur six se déclare victime de violence au travail, selon une enquête de l’Ined, qui fera partie d’un ouvrage à paraître au mois de mars 2020. Le chapitre sur les violences dans la sphère professionnelle est publié en avant-première, mardi 19 novembre 2019, « afin d’apporter des éléments pertinents nécessaires aux réflexions en cours » sur le sujet. Il montre que « les violences subies au travail sont rarement uniques et isolées. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène marginal, accidentel, lié au hasard, mais d’un véritable risque systémique ».
Typologie des faits de violence
Au total, quatorze faits de violence subis au travail ou dans le cadre du travail au cours des douze derniers mois, classés en cinq catégories, ont fait l’objet de questions lors de l’enquête :
Insultes et pressions psychologiques (3 faits : critiques injustifiées, insultes, intimidation) ;
Atteintes à l’activité de travail (3 faits : modification abusive des conditions de travail, isolement, sabotage) ;
Violences physiques (2 faits : brutalités, tentatives de meurtre) ;
Violences sexuelles sans contact (3 faits : harcèlement sexuel, exhibition, voyeurisme) ;
Violences sexuelles avec contact (3 faits : attouchements, rapports forcés et viols, autres violences sexuelles).
Les insultes et pressions psychologiques sont les faits de violence le plus souvent rapportés, tant par les femmes que par les hommes. Suivent les atteintes à l’activité professionnelle, les faits de violence physique ou sexuelle étant « plus rares ». « Sauf en matière de sabotage ou d’appropriation du travail, les femmes déclarent davantage de violences dans l’ensemble des catégories. Pour autant, aucun type de violence n’est l’exclusive d’un sexe. »
Supérieurs, collègues, usagers parmi les auteurs
Dans le cadre de l’enquête, il était proposé aux personnes interrogées « d’identifier les auteurs, selon leur nombre (un ou plusieurs), leur fonction dans la sphère professionnelle (supérieur hiérarchique, collègue, subordonné, usager ou fournisseur, conjoint ou autre) et leur sexe ». Trois profils d’auteurs principaux se dégagent : les supérieurs hiérarchiques et les collègues (acteurs internes), et les acteurs externes (fournisseurs ou usagers). « Une quatrième catégorie se distingue, ‘les autres’, dont on peut faire l’hypothèse qu’il peut s’agir de personnes appartenant à l’organisation ou circulant dans l’entreprise mais inconnues de la victime, de personnes accompagnant des usagers […] ou encore des ‘contacts professionnels’ sans lien fonctionnel ou commercial défini. » En revanche, l’Ined relève que « les subordonnés sont rarement mis en cause, ce qui inscrit bien la violence au travail comme une forme d’expression et de maintien des rapports de force ».
Selon les données recueillies par l’Ined, « la hiérarchie est massivement tenue pour responsable des pressions psychologiques et des atteintes au travail, alors que les acteurs externes (le public, les fournisseurs, les ‘autres’) sont impliqués dans les violences physiques ». « Les hommes victimes mettent en cause majoritairement des hommes », tandis que les femmes « mettent en cause des collègues féminines, des acteurs externes des deux sexes et des supérieurs hiérarchiques aussi bien hommes que femmes ». « Concernant les violences sexuelles et sexistes, dont sont majoritairement victimes les femmes, elles sont le fait d’hommes de tous statuts. »
Une perception variable de la gravité
Interrogées sur les lieux où sont commises les violences dénoncées, les victimes déclarent en grande majorité que les faits se déroulent sur le poste habituel de travail ou les lieux collectifs de travail : 72 % pour les hommes et 90 % pour les femmes – une proportion qui monte à 76 % et 91 % si l’on inclut les déplacements inhérents au travail (séminaires, formations…). « Néanmoins, une partie des violences se déroule ailleurs, soit dans des espaces privés (de la victime ou de sa clientèle par exemple), soit dans des espaces publics. »
La gravité des violences subies est « perçue différemment par les hommes et par les femmes, en fonction de la socialisation, d’expériences différentielles, de normes sociales et culturelles, et sans doute en fonction de l’emploi occupé et des risques d’exposition perçus ». Par exemple, « les violences sexuelles recueillent du point de vue des femmes un taux de non-gravité plus élevé que les trois autres types de violences » analysés (violences physiques, violences psychologiques et atteintes au travail). Pour l’Ined, ces résultats « témoignent de la tolérance sociale de la violence sexuelle, de la pression sociale pour réinterpréter et minimiser ces violences comme ‘jeux de séduction à la française' ».
Des victimes plus jeunes et plus précaires
L’étude permet d’esquisser un profil des personnes victimes de violences au travail : elles sont plus jeunes, plus souvent célibataires ou chefs de familles monoparentales, se considèrent en moins bonne santé et ont des difficultés financières plus marquées. Elles ont aussi moins d’ancienneté dans leur emploi en moyenne que les personnes qui ne se déclarent pas victimes, et sont plus souvent en contrat précaire. Les fonctionnaires sont aussi surreprésentés parmi les victimes. Autres caractéristiques : « Les victimes sont aussi plus souvent en contact avec du public, en face-à-face ou par téléphone ou mail, et sont plus nombreuses à avoir des horaires décalés ».
Enfin, l’étude s’intéresse aux réactions des victimes et aux conséquences des violences subies. 39 % des femmes et 33 % des hommes qui se sont déclarés victimes ont répondu à ce volet de l’enquête. « Une palette de stratégies de résistance peut être identifiée. » D’abord, « dans une large majorité des cas, presque 70 %, hommes comme femmes réagissent aux faits de violence pour tenter de les faire cesser en s’adressant aux auteurs. Cependant, ‘dire non’ ne s’avère pas efficace puisque dans plus de 6 situations sur 10, l’auteur continue ». « La deuxième stratégie consiste à se confier, en ayant recours à un éventail de personnes-ressources », le plus souvent dans l’entourage professionnel ou familial : plus de neuf personnes sur dix qui ont répondu à ce volet de l’enquête disent l’avoir fait. Cependant, « une part des violences reste cachée, ou du moins tue, en lien avec la perception de la gravité » : il s’agit des violences les plus déclarées (violences psychologiques et atteintes au travail) et des violences sexuelles « sans contact » subies par les femmes. « Le silence peut être lié soit au sentiment d’être face à des agissements inhérents au travail, comme les atteintes au travail, et donc ‘à supporter’, soit au sentiment d’impuissance à faire reconnaître des violences invisibles ou banalisées par le corps social. »
Des conséquences professionnelles souvent négatives
Quant aux répercussions des actes de violences sur les victimes, elles sont de deux ordres : professionnel et personnel. Sur le plan professionnel, 17,5 % des victimes disent avoir quitté ou perdu leur emploi, « raison pour laquelle elles ne subissent plus les violences déclarées », et 16 % avoir été « déplacées » – mutation volontaire ou non, qui peut « apparaître comme une stigmatisation, et une sanction déguisée ». Enfin, 5,5 % des victimes sont déclarées inaptes par la médecine du travail. D’autres victimes rapportent des résultats positifs lorsqu’elles ont dénoncé les violences : mesures de protection prises par l’employeur (21,5 %), sanction de l’auteur ou de l’employeur (13 %). Cependant, 6,5 % seulement des victimes disent avoir obtenu réparation, sans que soit précisé s’il est question d’une réparation symbolique ou financière.
« S’il apparaît nécessaire de consolider les messages sur la tolérance zéro envers la violence, notamment la violence sexuelle, l’effort doit plus particulièrement porter sur la sensibilisation et la formation des acteurs et actrices à même d’agir : la hiérarchie, l’inspection du travail, la médecine du travail, les syndicats. Non seulement ceux-ci sont en retrait, mais les répercussions sur la vie professionnelle de la victime restent trop souvent négatives et les réparations obtenues marginales », conclut l’Ined.