Le confinement a accentué la charge domestique des femmes. Encore plus que leurs collègues masculins, les télétravailleuses qui ont des enfants doivent aussi jongler avec les repas et l’école à la maison. Une accumulation qui se répercute sur la santé et la carrière.
« Je suis épuisée. Entre le montage des dossiers, les coups de téléphone aux clients, le suivi de l’école à la maison, la préparation des repas, je n’en peux plus ! » s’exclame Mylène Lafont (*), conseillère clientèle chez LCL. Depuis début mai, cette maman solo d’une petite fille de 7 ans n’a plus accès au congé garde d’enfants et doit télétravailler. Du lundi au vendredi, de 8 h 45 à 17 h 30, elle travaille à distance tout en essayant d’accompagner sa fille dans sa scolarité. Cette situation est très loin d’être rare.
souffrance et stress au rendez-vous
Plus de 8 télétravailleurs sur 10 qui ont des enfants doivent s’en occuper tout en travaillant (enquête Ugict-CGT, « Le travail sous épidémie »). Ce phénomène, général, touche encore davantage les femmes (87 % des femmes, contre 76 % des hommes). « La journée où je télétravaille (je suis un jour sur site et deux jours en congé garde d’enfants), je m’occupe en plus de mes enfants. J’arrive à travailler deux heures dans la journée et, quand ils sont au lit, je m’y remets de 21 heures à minuit », détaille Virginie Marquez (*), ingénieure chez STMicroelectronics. « Mon mari, professeur de maths indépendant, lui, ne gère pas les enfants quand il travaille, il peut enchaîner 7 heures de “calls” dans la journée. Nos fils ont très bien intégré que, lui, il ne fallait pas le déranger », observe-t-elle.
Devoir gérer les enfants tout en travaillant n’est pas sans conséquences sur la santé. « Dans l’enquête “Le travail sous épidémie”, nous observons que le ressenti des femmes est toujours plus négatif, l’écart entre les hommes et les femmes – 10 points – est significatif : les femmes déclarent plus souffrir d’anxiété ou développer des douleurs physiques », souligne Sophie Binet, responsable confédérale CGT en charge de l’égalité femmes-hommes. « J’ai toujours le sentiment d’être suspectée de ne pas travailler. À distance, il est possible de savoir si mon ordinateur est en veille. Résultat, si j’explique la soustraction à ma fille ou que je prépare le déjeuner, il faut que je pense à cliquer sur l’ordinateur toutes les 4 minutes 50. En agence, personne ne surveillerait l’activité de mon ordinateur », dénonce Mylène Lafont.
Le fait de devoir s’occuper en plus des enfants affecte aussi le contenu du travail. « Pendant les deux mois du confinement, je me suis limitée à l’indispensable : je ne pouvais travailler qu’une heure ou deux par jour : j’assurais chaque semaine un cours de deux heures, maintenais un temps d’échange hebdomadaire avec les deux doctorants que je dirige et répondais aux mails », raconte Viviane Pons, enseignante-chercheuse en informatique et mère d’un petit garçon de 10 mois. « Je ne pouvais travailler que pendant ses deux siestes, je n’ai absolument pas pu faire de recherches. »
isolement pérennisé, émancipation en danger
Depuis le début du confinement, les revues scientifiques ont d’ailleurs observé une nette baisse de propositions d’articles par les chercheuses par rapport à leurs homologues masculins. Dans la revue britannique « Vox », des chercheuses britanniques ont relevé que la part des propositions d’articles soumises par des chercheuses aux revues scientifiques en économie étaient tombée pendant le confinement à 12 %, alors que, depuis 2015, elle était parvenue à 20 %. Visiblement, le confinement n’a pas eu le même impact sur l’emploi du temps et donc la production intellectuelle des hommes et des femmes ! Le souci est que le nombre de publications est déterminant pour l’avancée de la carrière scientifique.
À l’instar de tous ceux qui télétravaillaient auparavant, Viviane Pons souligne la différence qui existe entre ce travail à distance pendant le confinement et le télétravail partiel, une à deux journées par semaine. « Habituellement, quand je travaille à domicile, je peux m’adonner aux tâches qui demandent le plus de concentration, avancer dans mes recherches. Comme je n’ai pas de transport, je peux aller chercher mon fils plus tôt à la crèche. »
Si cet épisode si particulier du Covid va heureusement s’arrêter, la période semble donner des idées aux entreprises. Déjà, PSA a annoncé vouloir généraliser le télétravail, et ce quasiment à temps plein. Pour les femmes, cette évolution est particulièrement lourde de dangers. « C’est un terrible risque de retour en arrière. En permettant de quitter le domicile, le travail salarié a été un facteur d’émancipation, insiste Sophie Binet. Pour les femmes victimes de violences conjugales, l’isolement est un facteur aggravant : comment s’en sortir sans collègue à qui se confier ? »
(*) Les noms et prénoms ont été modifiés.
par Mélanie Mermoz ,
Article de l’Humanité Dimanche du 4 au 10 juin 2020