Avec un décret publié dans la nuit de vendredi à samedi, le Président turc a décidé le retrait de son pays de la convention d’Istanbul, alors qu’il en était le premier signataire. Il s’agit là d’un acte arbitraire et autoritaire, car la convention a été adoptée et ratifiée par le parlement. En outre, ce retrait ne respecte pas non plus la procédure prévue dans le texte-même. Cette décision a déjà été qualifiée d’anticonstitutionnelle par de nombreux observateurs de la vie politique turque.
Elle s’inscrit dans une continuité de violations des droits et libertés les plus élémentaires cette dernière semaine : la destitution d’Ömer Gergeroğlu, député et défenseur des droits humains, l’interpellation de plusieurs centaines de militant.e.s du Parti démocratique des peuples (HDP), la demande judiciaire de l’interdiction définitive de ce dernier (3e parti politique du pays) et la décision de retirer la propriété du parc Gezi (épicentre des contestations citoyennes de 2013) à la municipalité d’Istanbul.
Des groupes conservateurs revendiquaient le retrait de ce traité qui, selon eux, nuit aux valeurs familiales « traditionnelles » en défendant l’égalité des sexes et favorise la communauté LGBTQ+ en interdisant de discriminer en fonction de l’orientation sexuelle.
Samedi 20 mars, plusieurs milliers de personnes ont manifesté dans plusieurs villes en Turquie en scandant « Annule ta décision, applique le traité ! ». Les violences conjugales ont explosé en Turquie ces dernières années : 300 en 2020 et déjà 77 depuis le début de cette année 2021.
La convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (convention d’Istanbul) – adoptée en 2011 et entrée en vigueur en 2014 – est le premier instrument en Europe à établir des normes contraignantes visant spécifiquement à prévenir les violences fondées sur le genre, à protéger les victimes de violences et à sanctionner les auteurs.
Les violences, y compris les crimes et délits qui touchent de façon disproportionnée les femmes, comme le viol, le harcèlement et les violences domestiques, constituent des violations flagrantes des droits humains et des atteintes à la dignité humaine, à l’égalité des sexes et au respect de soi.
Dorénavant il n’existait aucun cadre général au niveau européen énonçant des normes en matière de prévention, de protection, de poursuites et de fourniture de services adaptés pour répondre aux besoins des victimes et des personnes vulnérables.
La convention, née des travaux entrepris par le Conseil de l’Europe pour prendre la mesure des violences faites aux femmes, déterminer les lacunes juridiques et trouver des bonnes pratiques, prévoit un grand nombre de mesures, dont des obligations, allant d’actions de sensibilisation et de collecte de données à des mesures juridiques visant à la criminalisation de différentes formes de violence.
Contrairement à d’autres traités internationaux de lutte contre les violences sexistes, la convention d’Istanbul prévoit la mise en oeuvre de politiques globales et coordonnées entre les organismes nationaux et gouvernementaux qui participent aux activités de prévention, de poursuite et de protection.
La convention :
– définit et criminalise différentes formes de violence à l’égard des femmes, y compris la violence physique, sexuelle ou psychologique, le harcèlement, le harcèlement sexuel, les mutilations génitales féminines, les mariages forcés, l’avortement et la stérilisation forcés;
– prévient les violences en obligeant les parties à investir dans des campagnes de sensibilisation, d’éducation et de formation pour les experts en contact étroit avec les victimes et en mettant en place des programmes de traitement des auteurs d’actes de violence, ainsi qu’en abordant la question du rôle des médias dans l’élimination des stéréotypes sexistes;
– protège les victimes en obligeant les États à mettre en place des services de soutien appropriés tels qu’une ligne gratuite d’aide téléphonique au niveau national, des hébergements, des conseils médicaux, psychologiques et juridiques, et une aide en ce qui concerne le logement et les questions financières;
– prévoit l’obligation pour les parties de collecter des données sur les infractions liées au genre;
– traite de l’asile et des migrations, car elle exige que les violences sexistes soient reconnues comme une forme de persécution lors de l’établissement du statut de réfugié;
– adopte une approche transfrontalière, obligeant les États parties à étendre leur compétence aux crimes commis à l’étranger par leurs ressortissants;
– introduit une définition du genre, à savoir «les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu’une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes», opposée à la définition habituelle fondée sur le sexe de la personne;
– porte sur les garçons et les hommes aussi bien que sur les filles et les femmes en tant que victimes potentielles, en particulier en ce qui concerne les violences domestiques et le mariage forcé.