Les femmes sont les plus touchées par la réforme des retraites proposée par le gouvernement Macron. De cette prémisse, confirmée par des experts, des milliers de femmes et d’organisations féministes ont rejoint la foule qui a envahi les rues de Paris samedi (11), quatrième jour de grève et de manifestation contre le projet.
Paloma Varón, da RFI https://www.rfi.fr/br/fran%C3%A7a/20230211-em-paris-milhares-protestam-contra-reforma-da-previd%C3%AAncia-mulheres-dizem-que-projeto-%C3%A9-machista
Pour Delphine Colin, du Collectif Femmes Mixité de la Centrale générale ouvrière (CGT), l’un des plus grands syndicats Français, il s’agit d’une réforme « contre les femmes ». « Je dirais que c’est sexiste pour plusieurs raisons : nous avons déjà une grande différence de valeur des retraites entre les femmes et les hommes, de 40 %, ce qui est en fait un miroir des inégalités salariales entre les hommes et les femmes tout au long de la vie », souligne-t-elle.
« Cette réforme ne va pas résoudre ce problème parce qu’elle ne se soucie pas de ce problème d’inégalité. Le gouvernement a un discours disant que cette réforme serait juste pour les femmes, que nous serions les grandes gagnantes, mais La Cgt, avec d’autres syndicats et organisations féministes, nous démontrons, par des études, que nous sommes les grandes perdantes, en fait », ajoute-t-elle.
Selon elle, le relèvement de l’âge minimum de la retraite pénalisera les femmes qui ont des carrières plus courtes, qui ne travaillent pas à temps plein et/ou qui occupent des emplois sous-évalués.
Icône de la musique, de la danse et du féminisme
Clarysse Cahen a participé à la manifestation costumée d’ouvrier zombie dans la voiture sonore du collectif The Rosies. Groupe féministe créé en 2019 pour protester contre la première proposition de réforme de l’aide sociale du gouvernement Macron, ils s’inspirent de l’affiche américaine avec le dessin de Rosie, la riveteuse, devenue une icône de la lutte féministe.
Sur l’affiche, Rosie est vêtue d’une combinaison ouvrière bleue et d’une écharpe rouge avec des boules blanches. Il montre le bras musclé et derrière se lit la phrase « Nous pouvons le faire » (Nous pouvons le faire).
Les Rosies ont comme marque de fabrique, en plus de la combinaison bleue et du foulard sur la tête, le fait qu’ils apportent toujours de la musique et de la danse aux manifestations. « Nous sommes furieuses contre la réforme, mais nous nous manifestons de manière festive, parce que, avec la répression policière, beaucoup de gens ont maintenant peur de venir aux manifestations, alors nous voulons apporter un peu de joie dans les rues aussi. »
Versions de chansons célèbres pour protester
Samedi, les Rosies ont chanté et dansé, entre autres chansons, une version de « I will survive » de Gloria Gaynor, dont les paroles disaient : « Travaillez jusqu’à ce que vous mouriez pour le prolétariat, 64 ans pas ; La retraite à 60 ans, c’est mieux, nous voulons vivre. »
L’une des personnes les plus enthousiastes présentes sur la place de la République, où la manifestation a commencé, était « Work, Work », une version de la chanson internationalement connue « Voyage, voyage », du chanteur Français Desireless. La version disait : « Soumis au capital, cette idée est fatale, vous n’aurez plus de force. Travaillez, travaillez, penchez-vous et baissez la tête pour le bénéfice de votre patron.
Mai 1968 comme référence
Les étudiantes en droit Leona-Lou et Émilie, toutes deux âgées de 19 ans, sont venues à la manifestation parce qu’elles se soucient de l’avenir et solidaires de leurs aînés. « Nous devons réagir et nous mobiliser contre ce projet, sinon nous ne serons pas entendus », dit Leona-Lou.
« Plus je me le dis, plus je vois à quel point cette réforme est injuste pour tout le monde », dit Émilie.
Elles portaient une pancarte portant un jeu de mots adressé à Macron : « Si vous nous imposez 64, nous imposons mai 68 ». « Nous avons vu ce slogan dans notre collège et nous l’avons trouvé drôle, alors j’ai voulu l’écrire et venir avec cette affiche en l’honneur de ma grand-mère, 76 ans, qui a participé activement en mai 1968 et qui soutient notre manifestation, mais n’a pas pu venir à Paris aujourd’hui », explique Leona-Lou.
Mobilisation des familles
Adèle, 17 ans, est venue parler avec sa grand-mère, sa tante et sa cousine de deux ans. « Je suis venu avec ma famille aujourd’hui, mais j’étais déjà venu la semaine dernière. Je viens toujours avec mes camarades de classe aux manifestations, nous sommes engagés », dit-elle fièrement.
« Cette mobilisation concerne notre avenir et il est important que toutes les générations se mobilisent pour la même cause », ajoute Adele.
« Nous sommes ici pour que le gouvernement comprenne qu’il existe d’autres modèles possibles. Dans le modèle proposé par Macron, les riches s’enrichissent et les pauvres, plus pauvres. Cette réforme est injuste, mais en plus, je suis ici contre ce modèle capitaliste dans lequel ceux qui produisent de la richesse ne peuvent même pas atteindre la fin du mois », explique Flavie, qui a amené son fils de deux ans à sa première manif, la manière informelle dont les Français appellent les manifestations.
« C’est le premier d’une longue série », ajoute Flavie en riant, notant que les grèves et les manifestations sont une tradition en France et que sa famille n’échappe pas à la règle.
Pour Caroline, la mère de Flavie et la tante d’Adèle, être à la manifestation familiale « est important pour construire ensemble le monde que nous leur laisserons et à la génération de mon petit-fils ».
Chômage et précariTé
« Grand-mère, quand j’aurai ton âge, je serai au chômage », pouvait-on lire sur une affiche d’un groupe d’étudiants. Selon les données gouvernementales, en France, seulement un tiers des personnes de plus de 60 ans ont un emploi et 75% des personnes âgées de 55 à 60 ans.
« L’argument de la Première ministre Élisabeth Borne selon lequel la réforme est bénéfique pour les femmes est erroné. Elle ment. Cette réforme nuit aux femmes, qui ont des carrières incomplètes et qui ont fait des pauses pour diverses raisons et ne peuvent pas cotiser suffisamment à la retraite à 62 ans, qui diront à 64 ans », explique Yolande, 73 ans, déjà à la retraite.
Pour Isabelle, l’argument du gouvernement selon lequel le système d’aide sociale est défaillant n’est pas appuyé. « Il suffit de faire payer des impôts aux riches, c’est à eux de financer nos retraites », a-t-elle pleuré, alors qu’elle portait une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « C’est aux riches d’attacher leurs ceintures, pas aux travailleurs. »
Ce que proposent les syndicats
« Nous proposons la retraite à 60 ans et la réduction du temps de travail à 32 heures par semaine. Nous pensons que cela permettra l’égalité entre les hommes et les femmes et la répartition des tâches ménagères », explique Delphine Colin de la CGT.
« Nous nous battons également pour que l’égalité salariale soit respectée et pour que les entreprises qui ne respectent pas soient effectivement condamnées à une amende. Cette loi existe depuis plus de 50 ans, celle d’un salaire égal pour un travail de valeur égale, mais non seulement elle n’est pas respectée mais il y a des métiers féminisés qui ne sont pas valorisés, qui sont le travail lié aux soins (des enfants, des handicapés et des personnes âgées), à l’éducation, au suivi. Ils sont considérés comme des compétences innées que les femmes possèdent, et non comme un travail qui exige des qualifications et des compétences et qui devrait être bien rémunéré », poursuit-elle.
« Pour nous, le cœur du problème est là », souligne-t-elle.
Delphine présente une étude commandée par la CGT qui montre que s’il y avait égalité salariale, il y aurait 5,5 milliards d’euros de contribution supplémentaire aux caisses de l’Etat. « Et s’il y avait le même taux d’emploi pour les femmes et les hommes, ce serait 9 milliards d’euros de plus pour les pensions (car beaucoup de femmes travaillent à temps partiel ou arrêtent de travailler pendant un certain temps lorsqu’elles ont un ou plusieurs enfants).
Selon les statistiques de la CGT, seul un homme sur 9 arrête de travailler pendant un certain temps lorsqu’ils ont un enfant, contre la moitié des femmes. « Le système d’actualisation de la valeur de retraite est donc injuste pour les femmes », conclut-elle.