Il y a quelques semaines la presse révélait le projet de la Cour suprême des États-Unis de revenir sur le droit pour les droits des femmes d’interrompre une grossesse.
En 1973 l’arrêt Roe vs Wade de la même Cour stipule que « le droit au respect de la vie privée, présent dans le 14e amendement de la Constitution (…) est suffisamment vaste pour s’appliquer à la décision d’une femme de mettre fin ou non à sa grossesse ... Une loi du type de celle du Texas qui fait de l’avortement un crime, sauf quand la vie de la mère est en danger, sans tenir compte du stade de la grossesse ni des autres intérêts en jeu, viole le 14e amendement de la Constitution ». La haute juridiction donnait ainsi raison à Jane Roe le nom d’emprunt de la jeune femme qui, avec ses avocates, conteste la législation texane, laquelle faisait de l’avortement un crime. Cet arrêté est renforcé en 1992 quand la Cour a précisé que ce droit est valable jusqu’à 22 à 24 semaines de grossesse.
En 2022, c’est en s’appuyant sur un flou juridique que les juges veulent remettre en cause le droit des femmes à interrompre une grossesse, arguant que la décision Roe v Wade avait court-circuité le processus démocratique : en permettant aux femmes de disposer de leur corps, la haute juridiction avait omis de demander leur avis à tou·tes les américain·es, État par État.
Si la jurisprudence venait à être annulée, chaque état serait libre d’autoriser ou interdire l’IVG. Et il ne s’agit pas de probabilité faible. Depuis le 1er septembre 2021 le Texas interdit l’avortement après 6 semaines, même en cas de viol ou d’inceste. Nombreuses étaient celles qui passaient la frontière avec l’état voisin, l’Oklahoma, pour pouvoir avorter. Ce sera bientôt impossible si le gouverneur, Républicain signe la loi que le parlement a adopté le 19 mai, interdisant tout avortement dès la fécondation. Cela ferait de cet état le plus restrictif, et permettrait les poursuites lancées par de simple citoyen·nes à l’encontre de personnes soupçonnées d’avoir avorté. Pour détourner la jurisprudence fédérale, l’état de l’Oklahoma incite donc les personnes à porter plainte au civil.
Si la Cour Suprême revient sur le droit des femmes à interrompre une grossesse, ce sont 26 Etats qui sont prêts à interdire l’avortement.
Si le droit à l’avortement est une nouvelle fois menacé aux Etats-Unis, rappelons que la situation est également critique en Europe, où la Pologne, en particulier, s’emploie depuis 2020 à l’anéantir presque totalement.
Alors qu’il détenait une des lois parmi les plus sévères du continent en matière d’interruption volontaire de grossesse (IVG), le pays a en effet décidé, en octobre 2020, d’interdire les IVG en cas de malformation grave du fœtus – soit 95 % des IVG légaux qui étaient encore pratiqués jusque-là en Pologne, où désormais les femmes ne peuvent plus avorter qu’en cas de viol, d’inceste ou de danger de mort imminent pour la mère. Cette décision a été validée en janvier 2021 par le Tribunal constitutionnel, au demeurant mis sous tutelle du gouvernement depuis 2016, arguant que « l’avortement eugénique » était contraire à la Constitution polonaise.
Or, des exemples tragiques montrent que même ces derniers cas de figure ne sont pas respectés et condamnent les femmes à poursuivre des grossesses non désirées, voire à mettre leurs vies directement en danger, dans l’indifférence des pouvoirs publics polonais. C’est d’abord Isabel, 30 ans, qui est décédée d’un choc septique à 22 semaines de grossesse en septembre 2021 et à qui les médecins de l’hôpital où elle s’était rendue avaient refusé de pratiquer un avortement malgré la menace qui pesait sur sa vie. Agnieszka, quant à elle, est décédée à 37 ans fin janvier 2022 après avoir perdu ses deux jumeaux. Les médecins l’ont forcée à garder un de ses deux fœtus décédés in vitro jusqu’à ce que le second décède une semaine plus tard, faisant toujours valoir la loi interdisant l’IVG et alors même que sa vie était en danger. Son décès, un mois après la perte de ses deux fœtus, n’a ému personne d’autre que sa famille et les militant∙es féministes toujours en lutte dans le pays.
Loin de s’arrêter en si bon chemin, le gouvernement polonais a récemment décidé, début juin 2022, d’ouvrir un registre de grossesse pour chaque femme polonaise, qui sera accessible tant au corps médical qu’au pouvoir judiciaire en la personne du procureur. Outre que l’accès à des autorités judiciaires à un tel registre peut engendrer de nombreux risques pour les femmes dans un pays où elles sont, les unes comme les autres, placées toujours plus durement sous le contrôle d’un Etat conservateur, les association et militant.e.s dénoncent une intrusion inacceptable dans la vie et le corps des femmes, dont tous les pans de la vie intime sont exposés désormais aux autorités.
Les femmes, toutefois, résistent. Des ONG ou des réseaux se sont constitués pour faire parvenir des pilules abortives aux femmes désirant avorter en Pologne, voire pour les exfiltrer du pays afin de leur permettre d’avorter dans un pays autorisant l’IVG. On estime que contre 300 cas légaux d’avortements pratiqués en Pologne, entre 100 000 et 200 000 sont réalisés clandestinement dans le pays ou à l’étranger.
Or, ces réseaux militants font aujourd’hui face à un nouveau défi : la prise en charge des femmes exilées ukrainiennes, réfugiées en Pologne et désireuses d’avorter. Alors que l’Ukraine a légalisé l’IVG, beaucoup de réfugiées se sont ainsi retrouvées confrontées à un cadre législatif ultra restrictif dans leur nouveau pays d’accueil, les plaçant dans une situation de grande détresse. Les ONG contactées soulignent en effet qu’outre les femmes souhaitant avorter par crainte pour l’avenir alors que la guerre fait rage dans leur pays, de nombreuses autres ont été victimes de violences sexuelles en Ukraine de la part de soldats russes mais aussi sur le trajet de l’exil. On rapporte ainsi le cas d’une jeune ukrainienne piégée par un homme polonais qui l’a violée après lui avoir promis un hébergement, et elles sont probablement des centaines, voire des milliers d’autres à avoir été victimes de ce type de pratique prédatrice et criminelle.
La coalition Avortements sans frontières fait valoir que depuis le 1er mars 2022, elle a été contactée par 397 ukrainiennes souhaitant pratiquer une IVG, et un réseau s’est constitué afin de faire parvenir à ces femmes des pilules abortives et des pilules du lendemain. Mais comme le soulignent les ONG concernées, les femmes ukrainiennes, qui constituent avec les enfants 90 % des personnes réfugiées hors d’Ukraine dont une majorité en Pologne, font désormais face à un double, voire un triple niveau de traumatisme : celui de fuir son pays, celui de survivre à des violences sexuelles, et celui de mener potentiellement une grossesse non désirée à terme.
L’UFSE-CGT affirme son soutien aux femmes polonaises et ukrainiennes, et à toutes les femmes dans le monde qui font face à des lois patriarcales visant à contrôler toujours plus leurs corps, leurs capacités reproductives, leur vie intime et leur autonomie. A l’instar de la CGT qui l’a réaffirmé sur son site le 1er juin 2022, le droit à l’avortement est pour nous un élément essentiel à l’émancipation des femmes du joug patriarcal et misogyne qui sévit dans nos sociétés.
Il est possible de soutenir les femmes polonaises et ukrainiennes en soutenant La Fédération Internationale des Plannings Familiaux, le service Women on Web, la coalition Avortement sans frontières (Aborcja Bez Granic) mais également l’ONU via son agence UNFPA (Fonds des Nations Unies pour la Population) qui a dépêché des équipes médicales en Ukraine dont une partie s’occupe des victimes de violences sexuelles commises sur le sol ukrainien depuis le début de la guerre.
En France, la loi du 3 mars 2022 permettant, entre autres, de porter le délai légal de recours à l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse a été un soulagement pour les militant·es qui portaient cette demande depuis des années.
Il aura fallu une pandémie et un confinement qui a gravement porté atteinte au droit des femmes à avorter pour que la législation évolue.
Pourtant, ce délai n’est pas toujours respecté dans les faits. De nombreux centres d’orthogénie arguent en effet que le geste technique est différent, et que faute de formation, et du matériel adapté, les interventions ne se font pas au-delà des 12 semaines habituelles. Une fois encore le gouvernement n’a fait le travail qu’à moitié, et au final ce sont les femmes qui pâtissent de la situation.
222.000 femmes ont eu recours à l’IVG (quelle que soit la méthode) en 2020 en France. Ce sont plusieurs de centaines d’autres qui ont dû aller à l’étranger parce que hors délai, ou qui ont poursuivi la grossesse faute de moyens financiers pour s’y rendre. Permettre aux femmes d’avoir recours à l’IVG est nécessaire à leur émancipation, à leur accès au travail aux études et donc à leur indépendance financière.
Restons mobilisé∙es : le droit à l’avortement et donc le droit des femmes de disposer de leur corps doit demeurer, en France, comme en Espagne, aux Etats-Unis ou en Pologne, un droit fondamental qui est pourtant sans cesse attaqué. Nous appelons à le défendre sans relâche !