par rachel silvera
En ce 8 mars 2022, journée internationale de lutte pour les droits des femmes et en vue des élections présidentielles, je me propose de faire le tour des programmes des principaux candidat·es1 pour percevoir leur vision de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Une frontière délimite les programmes que l’on peut considérer à gauche des autres : tous et toutes les candidat·es de gauche ont fait de l’égalité entre les femmes et les hommes un axe important, à ma connaissance plus présent qu’auparavant, et transversal. Par exemple, pour les aides publiques aux entreprises, la plupart des programmes de gauche propose une « éga-conditionnalité », c’est-à-dire que l’obtention des aides soit conditionnée aux respects des principes d’égalité.
Sur un plan général, Fabien Roussel fait le lien « entre violences sociales et violences patriarcales », tandis que Yannick Jadot défend un « écoféminisme », sans pour autant en donner une définition. Il résume ainsi ses propositions sur les droits des femmes, dans des termes qui pourraient être communs aux autres programmes de gauche : « Pour mettre fin à un système qui génère stéréotypes, violences et discriminations, il faut agir à la racine, par l’éducation dès le plus jeune âge, et en mettant plus de moyens pour protéger les victimes de violence, garantir le droit des femmes à disposer de leurs corps, et assurer l’autonomie de toutes et l’égalité économique avec les hommes ». A lire Alternatives Economiques n°421 – 03/2022
Silence à droite
A droite, les programmes passent sous silence l’égalité femmes-hommes. On trouve dans les discours de Valérie Pécresse un refus affiché « d’un féminisme antagoniste » qui chercherait à « déconstruire les hommes ». On peut y lire la volonté « d’interdire l’utilisation de l’écriture inclusive par les administrations ». Tout au plus la candidate des Républicains met-elle en avant sa volonté de protéger les femmes face aux violences, tandis qu’elle réaffirme sa volonté de « rebâtir une politique familiale », visant la natalité avant tout, point central et commun avec les programmes d’extrême-droite.
Alors que lors des campagnes précédentes, elle avait mis en avant le fait « d’être une femme, donc féministe », Marine Le Pen semble, elle avoir abandonné ce terrain. Pas un mot dans son programme pour les droits des femmes, mais plus de traces non plus d’un « salaire parental » ni d’une volonté affichée d’assigner les femmes à leur rôle de mère.
On sait enfin qu’Eric Zemmour s’est rangé à maintes reprises sur des positions « masculinistes », affichant une véritable haine des femmes et proposant de les reléguer à des positions subalternes. Il affirme que le « pouvoir est masculin, qu’il y a un lien entre pouvoir et virilité et par conséquent que les femmes y sont inaptes ». Ajoutons qu’il est accusé de pas moins de huit cas d’agressions sexuelles.
Quant à Emmanuel Macron, qui avait fait de l’égalité entre les femmes et les hommes une « grande cause » de ce quinquennat, il devrait maintenir ce cap, comme en témoignent les propositions en matière d’égalité que deux Ministres proches du Président viennent de publier2 et malgré un bilan plus que mitigé.
Pour l’égalité au travail et l’égalité économique
Tous les programmes de gauche développent des mesures en faveur de la hausse des salaires et relient cette question à la revalorisation des métiers féminisés et aux inégalités salariales. Il s’agit par exemple pour Anne Hidalgo d’aller vers « l’égalité réelle des salaires entre les femmes et les hommes » en publiant la liste des entreprises qui persistent à laisser perdurer les discriminations salariales envers les femmes et en leur imposant de nouvelles pénalités.
Jean-Luc Mélenchon propose en outre de « lutter contre le temps partiel contraint qui à 80 % touche les femmes » et de réunir « une conférence sur la revalorisation des métiers féminisés en matière de salaires, conditions de travail et parcours professionnels », point également abordé par Fabien Roussel et Yannick Jadot. Ce dernier met aussi l’accent sur l’égalité au sein des ménages avec une individualisation du calcul de l’impôt pour favoriser l’indépendance de chacun·e.
Chez Valérie Pécresse, une seule mesure concernant les femmes est préconisée sur le plan économique : « Allonger la protection contre le licenciement à six mois après la naissance et mettre en place des sanctions dissuasives pour les entreprises qui licencient ou placardisent des femmes du fait de leur maternité ».
Les propositions des ministres d’Emmanuel Macron visent à « accélérer encore l’égalité économique et professionnelle des femmes ». Les principales mesures viseraient à améliorer enfin la situation des femmes les plus précaires et percevant un bas salaire (après un quinquennat qui s’est focalisé sur « la parité au sommet »). Elles annoncent elles-aussi, leur volonté de mener des actions pour améliorer les conditions de travail et revaloriser les salaires des métiers féminisés et favoriser la « masculinisation de ces métiers », alors que cette question n’a pas été abordée durant ce quinquennat.
Politique familiale
Sur le partage des tâches domestiques et la politique familiale, Anne Hidalgo a affirmé : « En tant que femme, je souhaite que le partage des tâches dans le foyer aille de pair avec l’égalité au travail ». Comme la plupart des programmes à gauche, la mesure phare est de porter le congé de paternité à 16 semaines dont six obligatoires, comme en Espagne. Rappelons que ce congé a été allongé à 28 jours (environ quatre semaines) dont sept jours obligatoires pour Emmanuel Macron. Ce passage à 16 semaines mettrait à égalité le congé de maternité et de paternité, à condition qu’il soit rémunéré en totalité (question uniquement abordée par Yannick Jadot).
Autre volet, la création d’un « service public de la petite enfance ». Anne Hidalgo est celle qui développe le plus cette mesure en assurant que, elle présidente, « chaque enfant – de son premier anniversaire à son entrée à la maternelle – aurait droit à un accueil collectif ou à défaut une aide financière pour compenser un accueil individuel ». Pour cela l’offre de places en crèches passerait de 470 000 à 600 000 en dix ans. Ces crèches seraient plus « inclusives » pour accueillir les familles les plus fragiles et les enfants en situation de handicap. L’allocation de rentrée scolaire serait attribuée dès l’entrée à la maternelle (au lieu de seulement à six ans aujourd’hui).
On peut toutefois s’interroger sur l’accueil avant le premier anniversaire de l’enfant : est-il comme dans les pays nordiques assuré par les « parents » ce qui implique de réorienter les modes d’accueil accessibles vers les enfants de plus d’un an ? Une telle mesure ne serait pas favorable à l’égalité entre les pères et mères.
Valérie Pécresse veut « rebâtir la politique familiale » en favorisant la natalité, avec notamment le rétablissement de l’universalité des allocations familiales et le relèvement du plafond du quotient familial à 3 000 euros. Ces mesures visent avant tout les familles aisées. Elle a lancé d’autres propositions plus « sociales » comme la déconjugalisation de l’allocation adultes handicapés ou encore la défiscalisation des pension alimentaires, qui améliorerait le sort des familles monoparentales (à 97 % des mères). Cependant ces dernières mesures ne figurent pas dans son programme définitif.
Notons qu’Eric Zemmour reprend exactement les deux mesures de Pécresse, à savoir revenir à l’universalité des allocations familiales et le doublement du plafond du quotient familial. Quant à Marine Le Pen, le soutien aux familles « exclusivement françaises » est développé avec une part fiscale complète dès le deuxième enfant et un doublement du « soutien » aux mères isolées, tout en « renforçant les contrôles pour éviter la fraude ».
Emmanuel Macron s’est exprimé en janvier 2022 sur ces choix en matière de politique familiale pour l’avenir, en reconnaissant n’avoir pas tenu ses engagements en matière de créations de places d’accueil de la petite enfance (seulement la moitié des 30 000 prévues). Il annonce cette fois-ci sa volonté de créer « un véritable droit à la garde d’enfants par un mode d’accueil individuel ou collectif, avec une indemnisation en cas d’absence de solution ».
Contre les violences faites aux femmes
Tous et toutes les candidat·es de gauche affirment leur volonté d’allouer un milliard d’euros contre les violences, comme ne cessent de le réclamer les associations féministes. Pour Anne Hidalgo, « le modèle de lutte contre les violences reste l’Espagne, avec le développement de la formation des professionnel·les, la présence d’assistantes sociales dans les commissariats et gendarmeries, des sanctions aggravées et l’éloignement des conjoints violents, un accompagnement social et psychologique des femmes et enfants témoins et une priorisation dans le parc social des victimes ».
A cela, Yannick Jadot ajoute « une obligation légale de trois heures de formation par an sur l’égalité filles-garçons dans tout le système scolaire et dans le tissu associatif culturel et religieux » et « la mise en place d’une cellule d’aide aux victimes dans chaque commissariat ». Jean-Luc Mélenchon veut en plus « mettre en place un plan de lutte contre le harcèlement sexiste et les agressions sexuelles dans les transports collectifs », et « abolir la prostitution et garantir la dignité de la personne ».
La position de Valérie Pécresse détonne par rapport à son courant politique, et c’est peut-être parce qu’elle est une femme : elle a pris ouvertement position pour dénoncer ces violences. Son « féminisme de droite » est pétri de contradictions, notamment à la région Ile-de-France où d’un côté elle a soutenu des associations anti-avortement ou des membres de la Manif pour tous, et de l’autre s’est engagée contre les violences…
Cet engagement est cependant cohérent avec la dimension sécuritaire du discours de droite, qui considère au fond les femmes et les enfants comme une catégorie vulnérable à protéger. On trouve ainsi dans son programme des mesures précises, comme celles défendues par la gauche autour de la formation des professionnel·les en contact avec les victimes ou en « doublant le nombre de places d’hébergement d’urgence » et d’autres plus nouvelles comme créer « des tribunaux spécialisés pour raccourcir les délais de jugement ».
Enfin, trois mesures parmi les vingt proposées par les ministres d’Emmanuel Macron portent sur les violences, avec notamment la volonté de s’attaquer au harcèlement dans l’espace public et la levée de l’anonymat pour les harceleurs en ligne, ou encore « d’imposer une obligation d’exemplarité en matière de refus des violences sexistes et sexuelles aux candidats aux élections locales et nationales ». Toujours pas question ici du milliard d’euros tant attendu…
De nombreuses propositions sont formulées ici et là, bien plus souvent à gauche, tandis que la droite réaffirme sa politique nataliste et parfois une volonté de protéger les femmes des violences. Mais en ce 8 mars 2022, on ne peut vraiment pas dire que l’égalité entre les femmes et les hommes soit au cœur de la campagne des Présidentielles, pourtant les premières depuis #metoo.
Article paru sur © Alternatives Economiques.