Lors des conventions de l’OIT, on travaille aussi le samedi…Nous reprenons donc sur le point 4, très important lui aussi puisqu’il définit le périmètre de la convention. Parle-t-on des violences sur le « lieu de travail », ou des violences « dans le monde du travail » ? Le projet de convention parle des violences « dans le monde du travail » en précisant qu’il peut s’agir du lieu de travail (y compris les espaces privés lorsqu’ils servent de lieu de travail) ; des lieux où le travailleur prend ses pauses repas ; des trajets domicile travail ; des voyages professionnels ; et des communications liées au travail effectuées via les TIC ». Sans surprise les employeurs, et certains pays dont les États-Unis, veulent limiter cette définition aux lieux de travail. Leur amendement est rejeté. Nous réussissons, avec le soutien de l’Afrique, de l’Europe, du Canada et de certains pays d’Amérique du Sud emmenés par Cuba notamment, à maintenir cette définition ambitieuse et à y ajouter les logements lorsqu’ils sont pris en charge par l’employeur! En d’autres termes : non, patrons et collègues ne peuvent profiter de ces moments en apparence informels mais qui demeurent fortement contraints par la relation de travail, pour se sentir libres d’y jouer les prédateurs! Quant aux transports, cette disposition est de nature à contraindre les employeurs à assumer leur responsabilité en mettant en place des systèmes de navette ou en finançant des taxis chaque fois qu’ils jugent nécessaire de faire se déplacer des femmes à des horaires indus, surtout lorsqu’elles vivent dans des zones éloignées et dangereuses. Enfin, le fait de fournir des dortoirs aux ouvrières du textile ou de loger sur place des femmes employées dans les services à la personne ne doit pas faciliter l’accès non désiré à leur personne !
Dans l’après-midi, nous arrivons enfin à la question cruciale, que nous avions acceptée de reporter : adoptera-t-on une convention contraignante ou une recommandation indicative ? Sans surprise, le groupe des employeurs a procédé à une déclaration sur le sujet pour défendre son amendement visant à transformer la convention en recommandation. Il a fait valoir que depuis 2010, on n’avait enregistré que 52 ratifications, que seuls 12% des pays ratifient des normes, que les définitions-clés lui semblent très problématiques et très larges, notamment la notion de « monde du travail », que dans certains pays, notamment en Amérique latine, ce texte deviendrait la base de la législation… Bref, le patronat s’est prononcé en faveur d’une recommandation, ajoutant n’avoir pas de point de vue arrêté, et se donner jusqu’en 2019… Façon de faire pression sur le contenu en laissant miroiter l’espoir de son ralliement à une convention? Parmi les pays qui ont explicitement exprimé leur soutien au principe d’une convention complétée d’une recommandation, Cuba a ouvert le bal. Puis le Canada,l’ Inde, la Nouvelle-Zélande, l’Argentine, l’Ouganda au nom des pays africains, La Colombie, le Chine, les Philippines, la France au nom de l’Union Européenne, le Qatar, le Pérou au nom d’un groupe « Amérique latine et Caraïbes » (aux contours flous). Les États-Unis s’en tiennent à une demande de recommandation. Quant au Japon, tout en soulignant que « les travailleurs ont fait preuve de flexibilité », il estime que la définition du champ d’application est trop vaste, se disant incapable de se prononcer tant que, à son sens, « on manquera de visibilité ». Tous les pays ne sont pas intervenus (par exemple, l’Australie et Israël, qui avaient dit oui au principe de convention accompagnée d’une recommandation), mais il n’était pas nécessaire de procéder à un décompte ni à un vote, eu égard à la large majorité qui se dégageait.
Campagne de la Confédération Syndicale Internationale pour une convention contre les violences sexistes et sexuelles
Ce sera donc une convention !!! Nous finissons la semaine sur cette victoire déterminante. Alors que les employeurs mènent depuis des années un travail de sape contre le caractère contraignant des normes OIT, et que la dernière convention a été adoptée il y a près de 10 ans, nous avons arraché un compromis pour gagner une nouvelle convention ! Cette victoire a été possible grâce à la campagne de longue date engagée par la Confédération Syndicale Internationale (à laquelle est affiliée la CGT) qui a permis d’engranger des soutiens déterminants. Ainsi, la position de la France, gagnée grâce à l’interpellation unitaire initiée par la CGT, a fait basculer l’Union Européenne en faveur d’une convention. Ce qui, ajouté à l’Afrique et à quelques pays très actifs comme le Canada et Cuba, permet de disposer d’un bloc progressiste de 80 et quelques pays. Comme quoi, quand la France joue son rôle dans le monde, elle a les moyens de faire pencher la balance en faveur des travailleurs et travailleuses….
Le repos de ce soir sera donc bien mérité. Dimanche, c’est relâche, sauf pour celles et ceux qui ont la chance de faire partie de la commission de rédaction, chargée de mettre en forme les amendements et finaliser le texte en 2 versions, français et anglais. Pour les travailleurs.ses, c’est un Néo-Zélandais et une espagnole qui nous y représenteront, accompagnés bien sûr de Mary Clark, notre porte-parole, et Chidi King, la secrétaire de notre groupe.