Séance plénière de la Conférence Internationale du Travail
La 107e convention de l’OIT s’est achevée vendredi 8 juin par une plénière rassemblant les délégué.e.s représentant les travailleurs.ses, employeurs et gouvernements de tous les pays du monde. Une déclaration de bilan de la 1ère phase de négociation du projet de convention sur les violences et le harcèlement est proposée et validée par consensus, après que travailleurs.ses, employeurs et gouvernements (avec des déclarations continentales) aient donné leur appréciation. La déclaration conclusive suivante a été adoptée pour définir le contenu de travail de la 2e année de négociation :
« La Convention Internationale du Travail décide d’inscrire à l’ordre du jour de sa prochaine session ordinaire la question intitulée « la violence et le harcèlement dans le monde du travail » pour une deuxième discussion en vue de l’adoption d’une convention complétée par une recommandation ».
Nous avons donc gagné le principe d’une convention complétée d’une recommandation, sur un champ d’application large puisqu’il s’agit de lutter contre les violences et le harcèlement dans le monde du travail, et pas seulement sur le lieu de travail. L’année 2018/2019 sera donc mise à profit par les experts du Bureau International du Travail, en s’appuyant sur les remontées nationales, pour approfondir les points qui n’ont pu être traités cette année, et faire des propositions de compromis pour dépasser les blocages soulevés lors de la négociation. Les passages en italique du texte issu des 2 semaines de négociation sont les points identifiés comme à approfondir et négocier.
La 108e conférence de l’OIT, qui aura lieu en juin 2019 et fêtera le centenaire de l’OIT, devra donc achever la négociation de la convention et de la recommandation, à partir d’une nouvelle proposition formulée par le Bureau International du Travail. Le texte ainsi proposé sera soumis à la discussion des délégué.e.s, puis au vote, et devra recueillir 66% des voix, sachant que chaque État dispose de 4 voix (1 pour les travailleurs.ses, 1 pour les employeurs, 2 pour le gouvernement). Si le principe d’une convention contraignante et de définitions larges sont bien identifiées, le chemin reste semé d’embûches et la vigilance s’impose pour la suite.
Et pour cause ! La séance conclusive, encore très mouvementée, a démontré que les employeurs étaient déterminés à torpiller la convention et ne reculeraient devant aucun moyen pour bloquer un compromis. Ils ont remis en cause les définitions négociées et validées lors des 15 jours de conférence et ont dénoncé le fait que les violences contre les employeurs (sous-entendu le droit de grève…) étaient niées dans le projet de texte (si,si ! ). Surtout, Lors de la séance plénière de vendredi, ils ont à nouveau instrumentalisé la question des LGBTI en exigeant une identification dans la convention de cette catégorie particulièrement vulnérable. Rappelons que le groupe employeur s’était opposé à l’identification particulière des violences fondées sur le genre dans la convention. Rappelons également qu’ils n’ont jamais montré le moindre intérêt dans la défense des LGBTI, et qu’il ne s’agit d’ailleurs pas de l’objet spécifique de la convention. Pourquoi une empathie aussi soudaine alors ? Parce qu’ils ont compris que l’identification en tant que telle des LGBTI dans le projet de convention était un chiffon rouge qui empêcherait son adoption par les 54 pays africains, les pays arabes et certains pays d’Amérique du Sud et du Pacifique. Autrement dit, que l’identification des LGBTI dans la convention empêcherait purement et simplement son adoption… « Plus c’est gros, plus ça passe » pourrait finalement être le slogan du patronat cette année…
C’est la raison pour laquelle le groupe des travailleurs.ses a soutenu un amendement de compromis, visant à remplacer la liste de l’article 10 énumérant (de façon non exhaustive) des groupes vulnérables par une phrase générale et inclusive : « Tout membre devrait adopter une législation et des politiques garantissant à tous les travailleurs le droit à l’égalité et à la non-discrimination, y compris aux femmes, ainsi qu’aux travailleurs appartenant à un ou plusieurs groupes vulnérables ou en situation de vulnérabilité qui sont touchés de manière disproportionnée par la violence et le harcèlement dans le monde du travail ». L’objectif étant d’intégrer la liste détaillée à la recommandation annexée à la convention.
En tout cas, cet engagement soudain du patronat et de certains gouvernements en faveur des LGBTI n’est pas tombé dans l’oreille de sourd.e.s…Les organisations syndicales, en lien avec les ONG intervenant sur la question, interpelleront leurs gouvernements et les employeurs pour qu’enfin soient supprimées les discriminations des LGBTI. En France, il y a du pain sur la planche. Contrairement aux résolutions 2048 et 2191 du Conseil de l’Europe, c’est toujours le juge qui statue, (souvent à partir d’une expertise médicale) sur les procédures de changement de sexe des personnes transgenres et intersexuées, et dans le monde du travail, aucun dispositif n’est mis en place pour lutter contre les discriminations permanentes dont sont victimes les LGBTI…Il s’agit là d’une discrimination d’État dont sont victimes les LGBTI.
En attendant, ne boudons pas notre plaisir. Grâce à la campagne contre les violences sexistes et sexuelles lancée il y a 5 ans par la Confédération Syndicale Internationale, nous sommes en train de négocier un projet de convention contraignante sur le sujet… Une première depuis près de 10 ans, et le texte d’étape validé cette année est déjà une bonne base de travail. Ce n’est qu’un début, continuons le combat comme on dit en France !
Pierre Coutaz, Sabine Reynoza, Bernard Thibault, Mary Clarke (porte parole du groupe des travailleurs.ses) en soutien à la mobilisation des salarié.e.s du Bureau International du Travail
2018/2019 : les échéances à ne pas rater :
– D’ici au vendredi 15 juin 2018 : publication du texte négocié sur le site de l’OIT
– Septembre 2018 : rapport brun, avec publications des textes qui seront discutés lors de la 108e conférence (reprenant la version négociée cette année, mise en conformité juridique et linguistique)
– Septembre 2018 : Questionnaire à destination des gouvernements, des travailleurs.ses et des employeurs sur la nouvelle proposition. La vigilance sur la position des gouvernements s’impose !
– Mars 2019 : Rapport bleu : réponses au questionnaire et nouvelle rédaction du texte qui sera soumis à la conférence.
Pour aller plus loin :
Compte-rendu intégral des 2 semaines de négociation sur la norme violence et harcèlement