Le 14 juin au soir, nous arrivons laborieusement à l’examen de l’article 7 de la convention, encore un point central. Cet article prévoit « tout membre doit adopter une législation et des politiques garantissant le droit à l’égalité et à la non-discrimination dans l’emploi et la profession, notamment aux travailleur.se.s et autres personnes appartenant à un ou plusieurs groupes vulnérables ou en situation de vulnérabilité qui sont touchés de façon disproportionnée par la violence et le harcèlement dans le monde du travail ». Et l’article 13 de la recommandation liste 13 groupes vulnérables, et notamment les LGBTI. C’est cette liste qui a failli faire exploser la commission l’année dernière, avec d’un côté le continent Africain et denombreux autres pays demandant une formulation large et inclusive sans liste, et de l’autre l’Union Européenne exigeant avec intransigeance que figurent en tant que tels les LGBTI. Flairant la possibilité d’enterrer tout compromis possible autour du projet de convention, le patronat s’est drapé sans vergogne dans le drapeau arc en ciel, osant même dénoncer l’homophobie du groupe des travailleuses et travailleurs…. « Oubliant »
L’année dernière s’est achevée sur une grosse tension sur le sujet, chacun.e est conscient.e que ces deux articles pourront faire achopper les textes (voir les billets de l’année dernière ici http://www.egalite-
L’Union Européenne et l’Afrique, qui veulent l’adoption de la convention et de la recommandation, souhaitent donc pouvoir trouver un terrain d’entente et ont travaillé à des rédactions de compromis. Côté travailleu.se.r.s, nous avons toujours été très clair.e.s et uni.e.s. Nous sommes favorables à la mention des LGBTI mais cette question n’étant pas l’objet premier de la convention, nous ne risquerons pas l’échec des négociations pour cette question. Rappelons que pour être adoptée, la convention et la recommandation doivent être votées par 2/3 des Etats (qui ont chacun, multilatéralisme oblige, le même nombre de voix). Par contre, nous n’accepterons pas un compromis qui serait un recul pour les LGBTI ou nierait les discriminations dont ils et elles sont l’objet. Nous exigeons donc que s’il y a une liste, que les LGBTI y figurent. Et nous proposons des formules qui ne rognent pas sur le contenu mais sont moins clivantes en proposant de traiter des discriminations liées à l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.
Nous examinons donc ensemble l’article 7 de la convention et l’article 13 de la recommandation.
La valse des porte-parole du groupe patronal continue et vire au burlesque. Delphine Roudely, la française qui a assuré la séance du 14 juin, laisse brièvement la place à l’Australienne titulaire de la place, rapidement remplacée par une patronne américaine. Leur stratégie est désormais très claire. Le patronat américain figure parmi les plus réactionnaires du monde, les Etats Unis sont un des Etats qui ont ratifié le moins de conventions, ils ne respectent notamment pas les conventions fondamentales sur le droit de grève et les libertés syndicales. Faire présider le groupe employeur par une américaine donne le ton. Fini les efforts de compromis, maintenant on passe aux choses sérieuses et on veut faire exploser la convention. Il s’agit d’une stratégie à 2 bandes. L’objectif premier est d’exiger l’ajout des LGBTI dans la convention pour empêcher que l’adoption de la convention. Si cette stratégie ne marchait pas, leur repli est de bloquer la recommandation, qui, même si elle est juridiquement moins contraignante que la convention, est très précise, complète et détaillée et doit servir de guide pour la transposition. Réussir à maintenir la liste dans la recommandation intéresse donc beaucoup les employeurs. Lot de consolation, si ces 2 tentatives échouent, le patronat pourra se féliciter de nous avoir fait perdre du temps de négociation, ce qui pourrait leur permettre que l’examen des textes ne soit pas achevé le 20 juin, et de fait conduirait à ce qu’il tombe à l’eau.
Preuve de l’importance du sujet pour les patrons, c’est le patron des patrons, Mtumzi, un Sud Africain qui rejoint la délégation et en prend la direction. Pour faire monter la pression au plus haut, il veut demander un vote à l’urne sur son amendement. L’intérêt : cela permet de se compter, sachant que certains travailleu.se.rs ou gouvernements ne sont pas forcément en séance, et surtout de faire perdre beaucoup de temps…Il demande le vote à la reprise de la séance l’après–midi, et le perd, très largement :
Vote sur le maintien de la liste dans la recommandation
Pour : 3940 (patronat, et notamment les français, on saura s’en souvenir pour exiger la mise en place de mesures pour les LGBTI en France !, quelques Etats et notamment la Nouvelle Zélande)
Contre : 7446 (Union Européenne, Travailleu.se.r.s, Africains…)
Abstention : 108
Vote sur l’amendement de l’Union Européenne pour réécrire l’article 13 de la recommandation « la référence aux groupes vulnérables et groupes en situation de vulnérabilité de l’article 7 de la convention doit être interprétée en accord avec les standards internationaux du travail applicables et les instruments internationaux sur les droits humains. »
Pour : 7544
Abstention : 4048 (patronat)
Contre : 0
Il s’agit clairement d’une rédaction de compromis, en-deça de ce qui était souhaité par les travailleuses et travailleurs, mais si nous voulions gagner l’adoption de la convention et de la recommandation, nous n’avions pas le choix. Aucune convention de l’OIT ne mentionne aujourd’hui les LGBTI nous n’avions donc pas de point d’appui. Par contre les textes de l’ONU interdisent clairement les discriminations contre les LGBTI, y faire référence est donc un point d’appui. Nous finissons donc la séance avec le sentiment d’avoir levé les obstacles les plus sérieux à l’adoption de la convention et de la recommandation, tout en regrettant de ne pas avoir été plus loin sur la question des groupes vulnérables, mais ce n’était pas l’objet premier de la convention, et comme on dit, Rome ne s’est pas faite en un jour…Le combat continue donc
Le temps sera désormais notre ennemi principal, car nous avons déjà pris plus d’un jour de retard par rapport au programme initial de travail….