Marie clarke Walker, porte parole du groupe des travailleu.se.r.s
Chidi King, secrétaire générale du groupe

Depuis lundi 14h, nous nous battons pied à pied contre les plus de 100 amendements déposés par le patronat sur la recommandation. La Russie et le Belarus en ont déposé autant, mais heureusement, ils se sont lassés et ne les défendent presque plus. La stratégie des employeurs est claire : ils ont été mis en minorité sur la convention, maintenant ils veulent empêcher que sa portée soit renforcée avec une recommandation précise et concrète qui servira de guide d’application. Ils soufllent le chaud et le froid. Le lundi jusqu’à tard dans la soirée, il se placent en opposition frontale au texte, « trop détaillé » et « pas applicable » ne cherchent aucun compromis, jouant seulement la montre et la déstabilisation de la négociation. Nous gardons notre calme, cette stratégie est un échec et ils se retrouvent à nouveau acculés. La nuit – et surtout probablement les bilatérales avec les gouvernements – portant conseil, ils reviennent le lendemain à la table des négociations et essaient de limiter la portée du texte par tous les moyens.

Des rédactions « plus souples », ou comment vider une norme internationale de son contenu

Ils essaient d’abord systématiquement de remplacer « devrait » par « pourrait », pour faire de la recommandation une simple liste indicative. Cela ne leur suffit pas, ils proposent ensuite de préciser après chaque mesure « selon la législation nationale ». Ils réussissent par exemple à ce que la prise en charge des frais de justice des victimes se fasse « selon la législation nationale »…Ce qui revient à soumettre une norme internationale au droit national…Et donc à supprimer toute forme de droit international…. C’est l’objectif central de l’entreprise de casse de l’OIT conduite par le patronat depuis une dizaine d’années : retirer aux normes OIT tout caractère normatif pour laisser libre cours au dumping et à la mise en concurrence du droit du travail. Ensuite, parce que cela ne leur suffit pas, ils proposent d’ajouter presque partout des « le cas échéant », pour laisser la liberté de ne pas adopter une mesure au prétexte que ce ne serait pas approprié. Malgré notre opposition, certains de ces amendements passent…

Le patronat est décidément fâché contre la négociation collective

La rédaction actuelle qui prévoit que les gouvernements devront « promouvoir la négociation collective à tous les niveaux sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail, y compris sur les mesures à prendre pour remédier aux impacts de la violence domestique sur le travail » ne plait pas. Le patronat veut en faire une simple possibilité, supprimer le « à tous les niveaux », et bien sûr refuse de parler des violences domestiques. Nous réussissons à sauvegarder l’essentiel en chutant sur une formule de compromis disant qu’il faut garantir « l’effectivité de la négociation collective à tous les niveaux… ». C’est une avancée, y compris en France où nous venons tout juste de gagner l’intégration des violences sexistes et sexuelles dans la négociation de branche sur l’égalité pro, mais pas dans la négociation d’entreprise (du fait de l’opposition du patronat).

Alliance Russie et Etats Unis contre la mention des migrant.e.s

Le projet de recommandation précise dans son article 10 que les membres doivent prendre des mesures pour « protéger les travailleurs migrants et en particulier les travailleuses quelque soit leur statut migratoire, contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail, dans les pays d’origine, de transit ou de destination selon qu’il convient ». Etats Unis, Russie et Belarus veulent supprimer ce paragraphe. La veille, lundi 17, nous avions justement commencé la journée avec une action organisée par les syndicats d’Amérique centrale et des Etats Unis pour dénoncer l’enfermement des enfants migrants par les Etats Unis et l’assassinat de plusieurs enfants, notamment guatémaltèques…Heureusement, les pays d’Amérique Latine, l’Afrique et l’Union Européenne tiennent bon et refusent tout amendement sur cette partie qui est validée telle qu’elle. Il s’agira d’un point d’appui très important pour obtenir des mesures pour lutter contre la prostitution et la traite.

Haro sur l’aménagement de la charge de la preuve

La recommandation prévoit « l’aménagement de la charge de la preuve, sauf en matière pénale ». C’est déjà beaucoup trop pour les employeurs qui développent des arguments alambiqués pour mettre sous pression les gouvernements. Nous réussissons au forceps à maintenir la disposition, au prix d’un compromis avec le rajout d’un « le cas échéant »…

Blocage sur les violences domestiques

Les mesures pour protéger le droit au travail des femmes victimes de violences conjugales sont une ligne rouge pour le patronat. La recommandation fait une liste de dispositions concrètes comme la mise en place de congés payés pour les victimes, le droit à des aménagements horaires ou à une mobilité géographique ou la protection contre le licenciement par exemple. Malgré toutes nos explications sur le fait que les violences domestiques ne sont pas de leur responsabilité, que ces mesures concernent peu de femmes mais seraient déterminantes pour les cas les plus graves et permettraient concrètement de sauver des vies en permettant aux femmes de fuir leur conjoint violent sans perdre leur travail, les employeurs sont inflexibles. La bataille a déjà été très rude pour imposer que la nécessité de limiter les impacts de la violence domestique sur le travail figure dans la convention. Maintenant, ils veulent supprimer purement et simplement tout l’article 18 de la recommandation qui donne un contenu concret aux dispositions de la convention. Canada et Union Européenne essaient de trouver des formulations de compromis. Le Canada propose de remplacer l’introduction par « les mesures appropriées qui pourraient être mises en place le cas échéant ». Ceinture et bretelle. Puis de prévoir un droit à congé (sans préciser qu’il doit être payé), des mesures temporaires d’aménagement du travail et de protection des victimes (sans précision) et une protection contre le licenciement « sauf s’il n’est pas lié aux violences domestiques ». La protection contre le licenciement, quelqu’en soit la cause, hérisse par principe les poils du patronat, cette disposition les indispose donc au plus haut point.
Nous nous battons pour gagner une introduction plus normative, les congés payés, et surtout la protection contre le licenciement sans cette limitation bancale et dangereuse. Nous réussissons à supprimer « le cas échéant », mais pas à renforcer le contenu des mesures. L’amendement du Canada est donc adopté quasiment tel quel. La bataille sera à reprendre dans chaque pays au moment de la transposition…

                  

17 juin à Genève, action des syndicats américains et des ONG pour dénoncer la politique migratoire de Donald Trump et l’enferment des enfants migrants