L’Organisation mondiale de la santé définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social ». Les métiers du soin et des liens aux autres sont au centre de cet enjeu majeur de société – assurer le bien-être des citoyen·nes quel que soient leur âge et leur degré de vulnérabilité. Mais c’est aussi un enjeu pour l’égalité entre femmes et hommes, car ces métiers sont très féminisés et prennent en charge la majorité des activités, au travail ou à la maison, assimilées aux femmes : soigner, écouter, accompagner, nettoyer, éduquer, etc.
Pourtant l’actualité témoigne chaque jour et depuis des années des difficultés de l’hôpital, des maisons de retraite, des associations d’accompagnement des personnes précaires ou encore de l’école. L’investissement dans les métiers du soin et du lien aux autres apparait comme une urgence.
Cette recherche propose trois axes d’analyse articulant investissement, revalorisation des métiers du soin et du lien aux autres, et égalité entre femmes et hommes.
La première partie du rapport présente une estimation du nombre d’emplois du soin et du lien aux autres, nécessaires pour assurer le bien-être de notre société ainsi que le coût d’un tel investissement, et ce en intégrant leur revalorisation salariale. Il s’agit donc de dénombrer les effectifs couvrant le secteur du soin et du liens aux autres, puis d’estimer le montant de la revalorisation salariale de ces professions en retenant l’hypothèse simple d’attribuer à chacune de ces professions le salaire mensuel moyen de tous les métiers selon leur niveau de diplôme. Les résultats globaux concluent au total à un niveau d’investissement nécessaire de l’ordre de 80 milliards d’euros, soit 3 % du PIB.
La deuxième partie s’appuie sur une consultation en ligne intitulée « Mon travail le vaut bien », réalisée auprès de 7 000 salarié·es et ciblant quinze professions du soin et du lien aux autres. Cette consultation donne la parole aux professionnel·les sur le contenu de leur métier, leurs responsabilités, leurs conditions de travail, leurs niveaux de rémunération, la perception de leur vécu professionnel et enfin leurs revendications. Cette « photographie » du travail concret de ces métiers du soin et du lien aux autres montre à quel point ces métiers sont à bout de souffle et les compétences mises en œuvre bafouées.
Enfin, dans une troisième partie, trois professions sur les quinze sont davantage analysées sous l’angle de l’égalité salariale entre emplois de valeur comparable. Les métiers de sages-femmes, d’assistant·es de services sociaux et d’aides-soignant·es sont comparés sur le contenu du travail, les classifications et les rémunérations à des emplois à prédominance masculine d’un niveau de classification ou de rémunération proche. Cette comparaison laisse à voir les écarts de rémunération entre des emplois de « valeur comparable » à prédominance féminine et masculine.
Les analyses proposées dans ce rapport sont de nature à la fois scientifique et empirique. Elles cherchent à articuler réflexions universitaires et paroles de terrain. Elles présentent donc les limites et les avantages de toute recherche-action mais nous espérons qu’elles pourront alimenter les politiques publiques concernant ces métiers du soin et du lien aux autres, dans une perspective d’égalité entre femmes et hommes. Nous espérons aussi que les professionnel·les concernées pourront se réapproprier ces résultats et enrichir leurs revendications .

Louisa CHASSOULIER, François-Xavier DEVETTER, Séverine LEMIERE, Muriel PUCCI, Rachel SILVERA (coordination) et Julie VALENTIN avec la collaboration de Louis Alexandre ERB (2023), Investir dans le secteur du soin et du lien aux autres : un enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes,
MAGE, IMT Nord Europe, CLERSÉ-UMR 8019, Université de Lille, RRS-Cgt, Rapport final,
janvier.


Synthèse


La crise sanitaire a été un véritable révélateur des métiers essentiels, ceux que des millions de Françaises et Français ont applaudi tous les soirs de confinement en 2020. Cette prise de conscience est l’occasion de souligner un paradoxe entre l’utilité sociale, essentielle et vitale de ces professions du soin et du lien aux autres occupées majoritairement par des femmes, et leurs niveaux particulièrement faibles de considération et de reconnaissance professionnelle et salariale.
L’Organisation mondiale de la santé définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social ». Les métiers du soin et des liens aux autres sont au centre de cet enjeu majeur de société – assurer le bien-être des citoyen·nes quel que soient leur âge et leur degré de vulnérabilité. Mais c’est aussi un enjeu pour l’égalité entre femmes et hommes, car ces métiers sont très féminisés et couvrent la majorité des activités, au travail ou à la maison, assimilées aux femmes : soigner, écouter, accompagner, nettoyer, éduquer, etc.
L’investissement dans les métiers du soin et du lien aux autres apparait donc comme une urgence.
Cette recherche propose trois axes d’analyses articulant investissement, revalorisation des métiers du soin et du lien aux autres, et égalité entre femmes et hommes. Des résultats concrets s’en dégagent :
− La première partie de ce rapport propose une estimation du nombre d’emplois du soin et du lien aux autres nécessaires pour assurer le bien-être de notre société ainsi que le coût total d’un tel investissement, en intégrant un objectif de revalorisation salariale. Tout d’abord, la revalorisation des 3,5 millions d’emplois du secteur a été estimée à partir du salaire mensuel moyen par niveau de diplôme de chaque profession. Cela induit des hausses salariales se situant dans une fourchette très large, entre 12 et 89 %, selon les métiers. Le coût total net de cette revalorisation salariale est estimé à 35 milliards d’euros.
Le chiffrage des besoins sociaux en termes d’emplois est réalisé ensuite avec une méthode innovante fondée sur la réalité des territoires. Il en ressort des besoins allant de 330 500 à 1,1 million d’emplois. Dans le scénario haut, ces 1,1 million d’emplois correspondent à un coût net de 44 milliards d’euros pour les finances publiques. Au total, l’investissement public nécessaire aux créations d’emplois dans le secteur des soins et du lien aux autres, associé à la revalorisation de tous les métiers concernés, coûterait près de 80 milliards d’euros, soit 3,2 % du PIB1 . Ce chiffre peut paraître élevé, mais rappelons que la fraude fiscale a été estimée au minimum à ce même niveau – entre 80 et 100 milliards d’euros annuels– ou encore que les niches fiscales étaient évaluées à 90 milliards d’euros par la Cour des comptes en 2019. Autre ordre de grandeur : les aides publiques aux entreprises sont près de deux fois plus élevées que les besoins estimés par notre étude, puisqu’en 2019, elles représentent 156 milliards d’euros par an.
Cette partie du rapport alerte enfin sur les dangers de la privatisation croissante du secteur du soin et du lien aux autres, tout particulièrement la petite enfance et l’hébergement des personnes âgées en perte d’autonomie (Ehpad). Non seulement les salaires et conditions de travail sont plus dégradés dans le secteur marchand que dans le secteur non marchand, mais qui plus est cette « silver économie » engendre des profits conséquents, encore difficiles à évaluer, mais qui sont en profonde contradiction avec les besoins sociaux et vitaux inhérents à ces secteurs. L’opinion publique, grâce à l’ouvrage de Victor Castanet sur Orpéa, a déjà été alertée, mais ces analyses mériteraient des approfondissements pour l’ensemble des activités du soin et du lien aux autres, désormais concernés par cette tendance à la privatisation ;
− La deuxième partie du rapport s’appuie sur une consultation en ligne intitulée « Mon travail le vaut bien » et réalisée auprès de 7 000 salarié·es de quinze professions du soin et du lien aux autres. Cette consultation a donné la parole aux professionnel·les sur le contenu de leur métier, leurs responsabilités, leurs conditions de travail, leurs niveaux de rémunération, la perception de leur vécu professionnel et enfin leurs revendications. Elle nous a permis de confirmer nos hypothèses : le besoin, et même l’urgence, de reconnaître la valeur professionnelle de ces métiers, c’est-à-dire l’ensemble des savoirs et des savoir-faire, des techniques et des exigences que ces métiers nécessitent pour bien les occuper. Quelles que soient les professions, les résultats de la consultation montrent une sous-valorisation et une invisibilisation des qualifications, des responsabilités, de la complexité du travail ou encore des exigences organisationnelles. Ainsi, plus d’une personne interrogée sur deux considère qu’il faut plus d’un an pour bien maîtriser son travail ; 98 % disent que leur métier requiert des connaissances théoriques et 95 % des connaissances techniques. Plus de la moitié considèrent que leur fiche de poste ne correspond pas à la réalité du travail et font des activités supplémentaires qui sont indispensables à la bonne tenue de l’emploi. 86 % disent effectuer plusieurs tâches en même temps, et plus de la moitié n’a pas assez de temps pour bien travailler. Plus de 60 % estiment qu’anticiper les besoins des personnes est au cœur de leur métier. Enfin, 97 % disent que leur métier est dur sur le plan émotionnel, et 84 % sur le plan physique.
Tous ces résultats s’appliquent à l’ensemble des métiers de l’étude, y compris pour les métiers les moins qualifiés, pour lesquels, au-delà du travail prescrit, les exigences professionnelles sont fortes. Certes, les hauts niveaux de qualification, notamment couplés à un diplôme d’État (comme les sages-femmes ou les professeur·es d’école), renvoient à des métiers à plus haut niveau de responsabilité, de technicité et d’autonomie. Néanmoins, la consultation met en lumière la complexité des métiers peu ou pas diplômés (comme les AESH, les aides à domicile ou les assistant·es maternel·les). L’absence de diplôme requis dans ces métiers participe de leur non-reconnaissance, car ils sont assimilés à des métiers non qualifiés, ce que la parole des professionnel·les de cette consultation remet en cause.
Les deux-tiers des professionnel·les sont fier·es de leur travail et pourtant, elles et ils ne se sentent pas reconnu·es et moins de la moitié recommanderait leur métier. On retrouve ici le paradoxe entre valeur sociale et valeur professionnelle de ces métiers. Les personnes interrogées sont à bout. Elles parlent toutes de l’usure, de la fatigue accumulée, au-delà de la crise sanitaire, et d’un mal-être au travail, du fait des choix budgétaires de ces dernières décennies, engendrant des baisses d’effectif, un travail toujours plus pressé et empêché, et une forte dégradation des conditions de travail. Au total, la parole des professionnel·les témoigne que la dimension du « lien » est transversale à tous ces métiers, y compris ceux du soin, alors qu’elle se perd au profit d’une technicité du soin.
L’égalité salariale pour ces métiers doit ainsi passer par leur revalorisation professionnelle et par des moyens de retrouver le sens de ce travail. C’est bien parce qu’il s’agit de professions ultra-féminisées que cette reconnaissance reste limitée et que la question des salaires est aussi prioritaire, comme ces professionnel·les l’ont affirmé puisque plus de 88 % ont placé la question salariale comme prioritaire. Comme si encore aujourd’hui, ces métiers relevaient d’une vocation et non de compétences professionnelles et que l’on niait encore la valeur salariale de ces métiers. C’est bien pourtant par la revalorisation salariale, mais aussi par la reconnaissance professionnelle du travail réel, que l’on parviendra à une vraie professionnalisation de ces métiers et à terme à une plus grande mixité, pour répondre à l’ensemble des besoins sociaux, de la petite enfance au grand âge ;
− Enfin, dans la troisième partie, trois professions sur les quinze sont davantage analysées sous l’angle de l’égalité salariale entre emplois de valeur comparable. Les métiers de sages-femmes, d’assistant·es de services sociaux et d’aides-soignant·es sont comparés sur le contenu du travail, les classifications et les rémunérations, avec des emplois à prédominance masculine d’un niveau de classification ou de rémunération proche. Cette comparaison laisse à voir les écarts de rémunération entre des emplois de « valeur comparable » à prédominance féminine et masculine. Ainsi, les sages-femmes d’un grand hôpital ont été comparées à des ingénieurs hospitaliers. Si ces métiers sont tous à bac+5, si les responsabilités peuvent être considérées comme analogues (responsabilités sur des vies humaines versus encadrement d’équipe), les procédures de recrutement, les évolutions de carrière et les rémunérations, ou encore les conditions de travail sont globalement plus favorables aux ingénieurs. Nous avons démontré que si toutes les revalorisations annoncées se réalisaient, à l’embauche, les sages-femmes seront légèrement gagnantes par rapport aux ingénieurs, mais ce ne sera toujours pas le cas en fin de carrière. Des écarts en faveur des ingénieurs en fin de carrière pourraient dépasser 500 €.
De même, des assistantes de services sociaux ont été comparées à des techniciens, dans deux situations : au sein d’une collectivité territoriale et au sein d’une grosse association.
La reconnaissance de leur diplôme a permis aux assistantes de services sociaux de la collectivité de passer en catégorie A. Ce passage en catégorie A se traduit par de légères améliorations de leur traitement de base (de l’ordre de 100 €) par rapport aux techniciens en catégorie B, mais il semble que les régimes indemnitaires, fixés au niveau de chaque collectivité territoriale, soient en faveur des techniciens. De plus, cet accès à la catégorie A des travailleurs sociaux de la fonction publique hospitalière a entraîné la perte de leur statut d’actif, c’est-à-dire la possibilité de partir en retraite avant l’âge légal en raison de leur présence « au chevet des patients ». Mais, dans l’association, il n’en est rien et les assistant·es de service social n’ont pas la reconnaissance professionnelle et salariale de leur métier : leur diplôme n’est pas totalement reconnu et des différences salariales en leur défaveur (de plus de 200 €) peuvent être repérées avec des techniciens recrutés d’un niveau inférieur, soit le bac+2 (BTS). Enfin, tout·es les assistant·es de service social sont « enfermé·es » dans leur catégorie d’emploi, avec peu de possibilités de progression et d’évolution professionnelles, à la différence de la filière technique.
Pour finir, nous avons comparé des aides-soignantes (catégorie B) à des ouvriers (catégorie C) d’un Ehpad. Compte tenu du diplôme et des responsabilités à l’égard des résident·es, l’écart de rémunération, en faveur des aides-soignantes en début de carrière, est faible malgré le passage en catégorie B de ces dernières. Au regard de l’immense travail porté par ces aides soignantes, que ce soit en termes de responsabilités accrues (du fait notamment d’une pénurie d’infirmier·es) ou de conditions de travail dégradées, l’écart de 130 € en leur faveur parait mince. Certes, au dernier grade de chaque classe, le passage en catégorie B des aides-soignant·es se traduira en théorie par un écart pouvant atteindre 500 €, mais ce passage dans les grades supérieurs n’est pas automatique : des ratios d’avancement de grade ou taux de promotion sont déterminés par décret au niveau national, ce qui rend difficile l’accès à une promotion dans la filière des soins par rapport à la filière technique.
Donc, au-delà de la comparaison des salaires à un instant t, l’étude confirme des retards de carrière pour toutes ces professions féminisées par rapport aux professions masculinisées. A cela s’ajoute l’effet des compléments salariaux qui relève d’un système de rémunération souvent opaque mais semble plus favorable dans la filière technique.
Cet exercice de comparaison pourrait aller plus loin : on pourrait envisager que ces professionnelles osent aller en justice et porter leur cas auprès des instances concernées (conseil des prud’hommes ou tribunal administratif) dans le cadre d’une action de groupe.
En effet, depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, l’action de groupe est une procédure de poursuite collective qui permet à des salarié·es, victimes d’une même discrimination, de se regrouper et d’agir en justice.
Cette loi a été retranscrite dans le Code de justice administrative (article L. 77-10-1). A notre connaissance, cette procédure est peu usitée. Nous avons observé une tentative concernant des éducateur·trices de jeunes enfants qui se sont comparées à des techniciens dans une grande ville, mais cette démarche n’a pas abouti. Dans un secteur très différent, la CGT est en cours de procédure pour une action de groupe auprès de la Caisse d’épargne Ilede-France en matière de discrimination salariale à l’égard des femmes ; il s’agit de comparer les carrières des unes et des autres et de relever une discrimination dans l’accès aux promotions. On pourrait envisager que notre étude alimente une démarche d’action de groupe, si des sages-femmes, des assistant·es de services sociaux ou des aides-soignant·es osaient se comparer.
La question de la revalorisation salariale des métiers du soin et du lien aux autres est le fil rouge des trois parties de cette recherche, mais elle ne relève pas des mêmes mécanismes. Dans la première partie, les revalorisations sont fondées sur le niveau de diplôme requis pour chaque profession, ce qui est une base de revalorisation salariale possible, simple et uniforme. Dans la suite du rapport, ces revalorisations sont envisagées dans une approche plus large et en lien avec les critères de la loi Roudy puisque toutes les dimensions de la valeur des emplois sont analysées et mises en avant, comme le degré élevé de technicité, de responsabilité et les exigences organisationnelles.
Au total, cette recherche revendique l’égalité entre les femmes et les hommes à la fois par l’investissement en emplois dans les métiers du soin et du lien aux autres afin de répondre aux besoins sociaux des populations sur chaque territoire français, et par la revalorisation salariale de ces métiers, à hauteur des exigences professionnelles indispensables pour les occuper. Il
s’agit d’une approche différente et complémentaire de celle de la mixité habituellement portée par les politiques publiques.
Les analyses proposées dans ce rapport sont de nature à la fois scientifique et empirique. Elles cherchent à articuler réflexions universitaires et paroles de terrain. Elles présentent donc les limites et les avantages de toute recherche-action mais nous espérons qu’elles pourront alimenter les politiques publiques concernant ces métiers du soin et du lien aux autres, dans une perspective d’égalité entre femmes et hommes. Nous espérons aussi que les professionnel·les concernées pourront se réapproprier ces résultats et enrichir leurs revendications.

AO_CGT_Projet1De2021_Synthese.pdf (ires.fr)

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AO_CGT_Projet1De2021.pdf (ires.fr)

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