Face à la dégradation continue des services publics et du système de santé, un collectif d’universitaires, de représentants syndicaux et associatifs appelle, dans une tribune pour « Le Monde », à la création d’un plan d’investissement annuel d’au moins 2 % du PIB afin de recruter, former et créer les structures d’accueil suffisantes.
Tribune. La crise sanitaire a mis en évidence l’utilité de notre modèle social qui, pour protéger la population, a joué son rôle capital d’amortisseur social. Mais elle a également révélé la dégradation des services publics et du système de santé résultant de trente ans d’austérité budgétaire. Pour preuve, les fermetures de lits dans les hôpitaux continuent et les personnels sont sommés de faire des économies sur tout, avec un souci de rentabilité mortifère.
Autre secteur en difficulté, la petite enfance : seule la moitié des enfants de moins de 3 ans bénéficie de places d’accueil, en majorité par des assistantes maternelles. Pour les autres, c’est la débrouille, qui repose essentiellement sur les mères et grands-mères. Au lieu de développer des accueils collectifs sur l’ensemble du territoire, le gouvernement augmente le nombre d’enfants confiés à chaque professionnel dans les crèches et déréglemente le secteur pour le plus grand bonheur des acteurs du secteur lucratif !Lire aussi « Il est primordial de développer un véritable service public de la prise en charge de la perte d’autonomie »
De même, l’aide sociale à l’enfance, chargée de protéger les enfants en difficulté sociale ou familiale, est exsangue : ce sont des dizaines de milliers de jeunes qui sont en danger. Plus largement, les inégalités sociales explosent (accès aux loisirs, aux vacances et à la culture, réussite à l’école…).
Enfin, question ô combien cruciale, l’accompagnement de la perte d’autonomie est identifié comme un secteur de rentabilité par la finance et de nombreux groupes privés lucratifs et spéculatifs misent sur la prise en charge de nos proches, tout en bénéficiant du financement de la Sécurité sociale.
Résultat : le coût devient inaccessible pour de nombreuses familles, la qualité de service et les conditions de travail des salariés se dégradent avec une véritable maltraitance institutionnelle qui se généralise.
Il faut changer de paradigme. Le secteur du soin et du lien aux autres n’est pas un coût mais, au contraire, un investissement indispensable pour l’avenir et le bien-être de notre société !
Reconnaissance des qualifications
Partout dans le monde, la crise sanitaire a mis en lumière l’utilité sociale des métiers du soin et du lien aux autres. Mais ces professions essentielles, hier applaudies à nos balcons, sont toujours dévalorisées et sous-payées. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’emplois très féminisés (entre 80 % et 99 % de femmes les occupent) et que l’on considère qu’ils font appel à des compétences « naturelles » pour les femmes, celles qu’elles mettent en œuvre au sein de leur famille.
De fait, les qualifications ne sont pas reconnues, la technicité et les responsabilités sont niées et la pénibilité invisibilisée. Par ailleurs, bon nombre de ces professions subissent un temps partiel imposé, des horaires hachés et n’ont pas de véritable déroulement de carrière.
Lire la tribune : Il faut « revaloriser les emplois et carrières à prédominance féminine »
C’est pourquoi nous proposons un plan d’investissement annuel d’au moins 2 % du produit intérieur brut (PIB) dans le secteur du soin et du lien aux autres, pour revaloriser les métiers, recruter, former et créer les structures d’accueil suffisantes et de qualité (crèches, hôpitaux, Ehpad, maintien à domicile…). Le secteur du soin et du lien doit être un bien commun, les groupes à but lucratif ne doivent pas avoir accès au financement public. La tarification à l’activité doit être remplacée par un financement à la hauteur des besoins.
Plus globalement, nous appelons à la création d’un véritable service public d’accueil de la petite enfance et d’accompagnement de la perte d’autonomie avec le droit à une prise en charge pour toutes et tous et une tarification financièrement accessible. Comme le rappelle la Confédération syndicale internationale, « ces services publics de santé et de soin doivent être universels, équitables, de qualité et transformateurs pour l’égalité de genre ».
Cela suppose une véritable reconnaissance professionnelle de toutes les personnes travaillant dans ce secteur, avec d’importantes revalorisations salariales, la reconnaissance de toute leur qualification, de leur vraie technicité et du poids de leurs responsabilités, et des compensations face à la pénibilité de ces activités.
Les signataires : Ana Azaria, présidente Femmes Egalité ; Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de la CGT des cadres et techniciens (UGICT-CGT) ; Sharan Burrow, présidente de la Confédération syndicale internationale (CSI) ; François-Xavier Devetter, économiste, université de Lille ; Widad Hamri, porte-parole d’Osez le féminisme ! ; Danièle Kergoat, sociologue, directrice de recherche honoraire au CNRS ; Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT ; Christiane Marty, membre d’Attac, Fondation Copernic ; Emmanuelle Puissant, économiste, université Grenoble Alpes ; Rachel Silvera, économiste université Paris Nanterre, réseau MAGE ; Benoît Teste, secrétaire général de la FSU.