Chronique de Rachel Silvera via Alternatives Economiques Les résultats des élections législatives ont surpris l’ensemble des analystes et des protagonistes eux-mêmes. Après avoir craint le pire avec un Rassemblement national (RN) aux portes du pouvoir, nous pouvons entrevoir quelques espoirs du côté des droits des femmes, d’autant que la situation durant la campagne a été particulièrement tendue sur ce chapitre.

La campagne, courte, brutale n’a pas laissé une grande place aux femmes, en termes de représentation. Aux élections européennes, elles étaient nombreuses en tête de listes, aux législatives, elles ont été invisibles ou presque… Quant aux thèmes qui concernent les droits des femmes, l’étude des programmes et des déclarations laisse un goût amer.

Comme le rappelait Simone De Beauvoir, « il suffira d’une crise politique… pour que les droits des femmes soient remis en question ». Et c’est ce scénario qui s’est produit durant la campagne législative : le nombre de candidates a baissé, comparé aux élections précédentes. Elles n’étaient que 41,1 % lors du premier tour… alors qu’elles étaient 44 % à se présenter en 2022.

Au bout du compte, l’assemblée actuelle ne sera composée que de 36 % de femmes, contre 37,3 % en 2022 et 38,8 % en 2017 (le meilleur score).

Un recul de la place des femmes à l’Assemblée…

De façon plus détaillée, le Nouveau Front populaire (NFP) est proche de la parité (avec 47,9 % de candidates), mais en recul par rapport à la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) qui affichait une stricte égalité en 2022.

D’après mes propres calculs, 41,5 % des élus du NFP sont des femmes, soit le taux de féminisation le plus élevé. C’est surtout dans le camp présidentiel que l’on constate le plus important recul (de 48,5 % en 2022 à 43,5 % aujourd’hui). Et ce sont les Républicains qui continuent à afficher les scores les plus médiocres avec 32,8 % de femmes en 2024 (35,5 % en 2022).

Rappelons que depuis la loi du 6 juin 2000, les partis qui ne présentent pas 50 % de femmes sont soumis à une sanction financière se traduisant par une baisse des aides publiques auxquelles ils ont droit. Ainsi Les Républicains (LR) ont perdu 1,3 million d’euros en 2023 et 2024…

Quant au Rassemblement national (RN), son opération de séduction des femmes, avec une vidéo de Jordan Bardella – que j’ai eu l’occasion de démonter sur Konbini – a consisté à en présenter de nombreuses (47,6 %), mais pas dans les circonscriptions favorables. In fine, d’après mes calculs, seulement 32 % de femmes sont élues RN à l’Assemblée désormais.

Des programmes insatisfaisants ou dangereux

Du côté des programmes, le compte n’est pas non plus très bon. Le NFP a présenté très rapidement son programme, avec quelques mesures en faveur des femmes, mais ce document est bâclé : des féministes ont ainsi dénoncé dans une tribune parue dans Le Monde l’absence d’écriture inclusive dans ce texte, ce qui serait selon elles, pas seulement une question de forme, mais bien le reflet d’une « idéologie patriarcale » encore à l’œuvre.

Ainsi, il n’est question que des députés, travailleurs, salariés ou migrants (au masculin) et même lorsqu’il s’agit d’une majorité de femmes, le masculin est considéré à tort comme neutre.

Par exemple, il est question des « Français grandement paupérisés par sept ans de macronisme », alors que l’on sait qu’il s’agit surtout des femmes, salariées à temps partiel, mères isolées ou retraitées, qui subissent de plein fouet cette politique.

Si l’écriture inclusive peut faire débat, rien n’empêche alors de préciser à chaque fois qu’il s’agit aussi de Françaises, de migrantes… De même, un volet important vise à lutter contre le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie, mais rien ou presque contre le sexisme. En réalité, l’égalité n’est pas intégrée à l’ensemble du programme, mais seulement évoquée dans un paragraphe.

Certes, il y est prévu des mesures fortes comme un budget de 2,6 milliards pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, demandé par les associations féministes. De même, une loi pour l’égalité salariale est annoncée (sans en définir le contour), mise sur le même plan qu’un congé menstruel, qui fait débat.

Quant au parti présidentiel, deux phrases seulement concernent les femmes : l’annonce d’un congé de naissance de trois mois par parent, mieux indemnisé que le congé parental (mais l’on sait déjà que cette indemnisation ne devrait être que de 50 % de la rémunération antérieure, plafonnée à 1 800 euros).

Par ailleurs, le « téléphone grave danger » déjà en place pour les femmes menacées sera mieux diffusé, de nouveaux arrêts de bus seront généralisés en soirée, ce qui ne coûte pas grand-chose…

Enfin, le programme du RN ne propose aucune mesure en faveur de l’égalité, mais il est en revanche bien plus disert sur sa politique nataliste, dont j’ai évoqué la dangerosité dans ma chronique précédente.

Parmi les risques concrets et immédiats d’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite, la fin du ministère de l’Egalité, la remise en cause des subventions aux associations féministes et des programmes de recherche sur le genre sont à craindre.

A quoi s’attendre pour les femmes et l’égalité ?

On peut se rassurer, le nouveau gouvernement ne s’attaquera pas à ces outils institutionnels et maintiendra son ministère des Droits des femmes. Mais il est clair que sans volonté politique affichée d’entrée de jeu, il y a un risque pour que la place des femmes dans le gouvernement recule… Rappelons qu’il n’y a eu que deux femmes premières ministres et une seule présidente de l’Assemblée et à chaque fois pour une durée écourtée (deux ans maximum) !

Espérons ensuite que les lois mises en œuvre soient plus favorables aux femmes. Entre les deux tours, le Premier ministre a annoncé la suspension de la réforme de l’assurance chômage. Ceci va bénéficier indirectement aux femmes, tant ses dispositions les touchent en premier lieu, comme le montre un article d’Alternatives économiques.

Pour ce qui est de l’égalité au travail, certaines mesures annoncées par le NFP, arrivé en tête, pourraient dans le meilleur des cas être adoptées. La suppression de la loi sur la retraite à 64 ans favoriserait ainsi surtout les femmes les plus précaires, aux carrières hachées, parmi les premières victimes de cette réforme honnie.

Une revalorisation du Smic est aussi à l’avantage des femmes puisqu’elles représentent 56 % des smicard·es. Et si une nouvelle loi sur l’égalité salariale est mise en œuvre, elle pourra s’appuyer sur une transposition de la Directive européenne sur la transparence et l’égalité des rémunérations permettant d’introduire de nouveaux indicateurs de mesures des écarts pour favoriser la transparence des rémunérations entre collègues et d’appliquer enfin le principe d’un salaire égal pour un travail de valeur égale.

Cette loi devrait modifier en profondeur l’index égalité, comme l’a suggéré le Haut conseil à l’égalité (HCE) dans son rapport « Cinq ans d’index et toujours pas l’égalité ».

De même, l’annonce de « conférences sociales » dans toutes les branches permettrait de revoir les grilles de rémunération, mais aussi d’aborder les questions d’égalité salariale et notamment la revalorisation de tous les métiers féminisés.

S’attaquer aux temps partiels courts, aux horaires atypiques, largement féminisés et imposés, devra aussi faire partie des sujets sur la table si l’on veut véritablement atteindre l’égalité salariale.

De plus, la reconquête des services publics, et singulièrement de la petite enfance et de la perte d’autonomie, sera un véritable levier de l’égalité, à condition que des places d’accueil et d’accompagnement de nos enfants à nos ainé·es soient développées en nombre, dans des structures de qualité, avec des professionnel·les reconnu·es et revalorisé·es.

Enfin, comme le demandent toutes les associations féministes, un nouveau plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles est urgent et requiert un financement conséquent, les fameux 2,6 milliards estimés par la Fondation des femmes.

Mais il va sans dire que de telles mesures ne verront le jour que si une mobilisation sociale et féministe forte accompagne ce futur gouvernement…

Portrait de Rachel Silvera en dessin
Rachel Silvera Maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre