En novembre 2019, les militant⋅es du groupe genre-égalité de la CGT Spercrif (Syndicat du personnel du conseil régional d’Île-de-France) lançait une enquête pour identifier les violences sexistes, sexuelles et lgbtphobes subies par les agent⋅es de la Région.
Au-delà de la caractérisation des violences, cette enquête laissait la parole aux agent⋅es pour déterminer les actions prioritaires à mettre en place afin d’en finir avec ce fléau.
Plus de 200 personnes du siège et des lycées de la collectivité ont répondu au questionnaire détaillé dont voici les 10 enseignements clés*.
Les violences existent à la Région Île-de-France…
- 1 femme sur 2 a déjà subi des violences à la Région Île-de-France
- 43 % des agent⋅es ont été témoins au moins une fois d’une situation de harcèlement sexiste, sexuel ou lgbtphobe
- 1/3 des victimes de violences l’ont été au cours des 2 dernières années
Le phénomène est massif.
Les agent⋅es de la Région Île-de-France ne sont malheureusement pas épargné⋅es par les violences sexistes, sexuelles et lgbtphobes au travail. L’ampleur des chiffres démontre le caractère systémique de ces violences. Il ne s’agit ni de situations particulières, ni de victimes particulières, ni d’agresseurs particuliers.
Les discours de la présidente de région, Valérie Pécresse, sur la lutte contre les violences faites aux femmes comme « Grande Cause régionale 2017 » sont à mettre en regard du caractère récent (moins de 2 ans) des violences subies par 1/3 des victimes.
Nous laissons les lecteurs et lectrices en juger…
- 45 % des agent⋅es n’ont jamais entendu de propos à connotation sexiste ou sexuel… Vu l’omniprésence de ces propos dans l’espace public, ces résultats soulignent la nécessité d’une sensibilisation s’adressant à la totalité des agent⋅es et permettant d’identifier et qualifier les situations vécues.
… elles sont présentes au siège comme dans les lycées
- 2/3 des agent⋅es du siège ont entendu au moins une fois des blagues ou des propos à connotation sexiste ou sexuelle
- 40 % des victimes dans les lycées ont subi des violences à plusieurs reprises
À la Région Île-de-France, les violences sexistes, sexuelles et lgbtphobes sont présentes partout, quelles que soient le lieu de travail, la position statutaire ou la catégorie d’emploi.
Il est donc urgent de prévenir ces violences, prendre en charge les victimes et sanctionner les agresseurs.
Une banalisation du sexisme ?
- Majoritairement, les témoins de violences n’ont entrepris aucune démarche
Toutes les enquêtes nationales montrent que le sexisme et les violences sexuelles et lgbtphobes représentent un phénomène massif au sein des lieux de travail. Les résultats de notre enquête sont à mettre en regard des résultats nationaux.
Si peu d’interventions sont entreprises, c’est aussi que les droits et procédures ne sont probablement pas ou mal connues. Cela contribue à banaliser les violences. Les situations n’étant pas ou peu révélées, les agresseurs ne sont pas sanctionnés et profitent d’une forme d’impunité. Celle-ci alimente la tolérance au sexisme et aux comportements violents.
100 % des victimes de violences sont des femmes
Si les hommes n’ont pas répondu être victimes de violences, beaucoup subissent le climat sexiste.
Les violences sexistes, sexuelles et lgbtphobes sont une des caractéristiques d’un système patriarcal, dont les femmes sont les principales victimes.
1/4 des victimes de violences ont subi des agressions
Les violences sexistes, sexuelles et lgbtphobes évaluées dans cette enquête sont de nature et de gravité différentes.
Pour les besoins de l’enquête, ces violences ont été regroupées en 2 catégories selon leur niveau de gravité (entendue au sens juridique ou disciplinaire) :
- les injures, agissements, harcèlements sexistes, sexuels ou lgbtphobes
- les agressions ou crimes sexuels
La gravité des violences subies par 1/4 des victimes doit interpeller collectivement ainsi que l’employeur.
Pour rappel, la condamnation pénale encourue pour une agression sexuelle est de 5 ans d’emprisonnement (7 ou 10 en cas de circonstances aggravantes) et de 75 000 € d’amende. La sanction disciplinaire prévue par l’employeur public va de la radiation du tableau d’avancement ou de l’abaissement d’échelon jusqu’à la révocation.
Les femmes de moins de 45 ans fortement sur-représentées parmi les victimes
Ce constat recoupe les enseignements des enquêtes nationales.
Par exemple, dans son rapport de 2017 sur la situation de travail des femmes enceintes, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) indique que 45 % des femmes de moins de 40 ans disent redouter de « travailler tout en étant enceinte ».
La vulnérabilité et la précarité de la situation des personnes victimes est un élément important à prendre en compte dans les mesures de prévention.
1/4 des agent⋅es du siège ont subi des violences sur leur trajet domicile-travail
L’accident de trajet est pris en charge par l’employeur. Les violences sexistes, sexuelles ou lgbtphobes subies sur le trajet domicile-travail sont de la responsabilité de l’employeur qui doit tout mettre en œuvre pour protéger la santé physique et mentale des agent⋅es.
Les plans de déplacement du personnel de la Région Île-de-France et les mesures d’accompagnement des victimes doivent être construites au regard de ces éléments.
Une femme qui subit une agression dans le métro alors qu’elle se rend à son travail doit pouvoir être prise en charge et accompagnée par les services de prévention au même titre qu’une victime d’accident de travail.
12 personnes ont déclaré avoir déjà subi des violences sexistes, sexuelles ou lgbtphobes dans leur famille ou leur couple qui ont eu des conséquences sur leur vie professionnelle
Avec les périodes de confinement ou couvre-feu que subit l’ensemble de la population francilienne, ces résultats doivent encore plus alerter.
Les violences ne s’arrêtent pas à la sortie du travail. Depuis début mars, les numéros d’urgence nationaux enregistrent une hausse très importante des appels.
Le télétravail généralisé doit interroger sur la prise en charge des violences intrafamiliales par l’employeur.
Les collègues de bureau ou d’établissement : principaux agresseurs
Contrairement à une idée reçue qui a la vie dure, les principaux agresseurs ne sont pas des supérieurs hiérarchiques mais des collègues de travail. Il n’existe pas un archétype de l’agresseur.
Cela n’exonère pas chaque supérieur⋅e hiérarchique de sa responsabilité de prévention, détection, déclaration et accompagnement… (cf. article 2-1 du décret du 28 mai 1982, n° 82-453).
À noter cependant qu’une violence émanant d’un supérieur hiérarchique est considérée comme une circonstance aggravante du fait de la position d’autorité du responsable et de subordination de la victime.
Des attentes fortes vis-à-vis de l’administration-employeur
Beaucoup de victimes n’en ont parlé à personne
Les deux principales raisons invoquées sont :
- l’absence de preuves
- elles pensaient que ça n’en valait pas la peine
D’autres ne se sont pas senties soutenues, ni suffisamment accompagnées affirmant « se sentir baladées d’un service à un autre ».
Pour les agent⋅es de la Région Île-de-France il y a urgence à :
- donner de la légitimité à la dénonciation des violences
Il ressort des verbatim des personnes interrogées la nécessité impérieuse de faire du sujet des violences, une question de politique interne à part entière : « Parler de ce sujet est louable mais AGIR concrètement l’est encore plus », « Les sanctions doivent être suivies d’effets ».
Pour cela, il faut déployer les bons moyens en adéquation avec les attentes des agent⋅es et les faire connaître. Seules 19 % des personnes interrogées contacteraient la cellule d’écoute de la Région si elles étaient victimes de violences, loin derrière la hiérarchie (65 %) et les syndicats (51 %).
- prévenir les violences : priorité n°1 pour les agent⋅es
La mesure qui arrive en tête est la mise en place d’un protocole de prévention et de prise en charge des femmes victimes de violences. Suivie de près par des formations obligatoires et systématiques de tou⋅tes les encadrant⋅es à la prise en charge et à la prévention des violences sexistes et sexuelles.
En 2020, une enveloppe budgétaire de 250 000 € a été débloquée pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. C’est une première étape mais des moyens plus importants doivent être alloués dans une programmation pluriannuelle et sanctuarisés dans une ligne budgétaire. De plus, un budget spécifique doit être consacré aux mesures de prévention, d’information, de formation et d’accompagnement des personnes victimes de violences sexistes, sexuelles ou lgbtphobes.
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*Les chiffres qui sont donnés sont l’expression des résultats de l’enquête réalisée auprès du personnel de la Région Ile-de-France entre novembre 2019 et février 2020, qui a reçu 206 réponses.
Caractéristiques des répondant⋅es :
Genre
- 76 % femmes
- 23 % hommes
- 1 % autres
Lieu de travail
- 58 % siège
- 42 % lycées