Madame la Ministre,
Votre directeur de cabinet a annoncé le 28 avril lors d’une réunion organisée avec les acteurs sociaux que le projet de loi de ratification de la convention 190 de l’OIT contre les violences et le harcèlement dans le monde du travail serait présenté en conseil des ministres le 2 juin prochain, précisant que la ratification ne serait pas accompagnée de modification législative ou règlementaire. Ces annonces sont en contradiction avec les engagements que vous avez pris en février d’ouvrir une concertation pour échanger sur les différents scénarios de ratification de la convention 190 avec la possibilité d’évolutions législatives et/ou règlementaires pour intégrer les avancées de la convention et de la recommandation. Alors que vous nous aviez indiqué qu’elle nous serait communiquée courant avril, nous n’avons toujours pas été destinataires de l’étude d’impact préalable à toute ratification de convention internationale et évaluant l’écart entre la législation française et les instruments internationaux à ratifier.
Nous vous appelons à respecter le cadre légal des ratifications en ouvrant sans tarder une concertation sur l’étude d’impact pour permettre une ratification ambitieuse de la convention intégrant les préconisations de la recommandation 206. Ne pas prendre en compte la recommandation au prétexte qu’elle ne serait pas normative entrerait en contradiction avec le vote de la France qui la soutenue et validée. En outre, c’est méconnaitre sa portée : la recommandation accompagne la convention, elle vise donc à préciser son application et doit évidemment être prise en compte pour la ratification. Enfin, nous souhaitons la création d’un comité de suivi tripartite pour suivre la mise en œuvre de la convention et de la recommandation.
Nous vous rappelons notre exigence unanime à ce que la ratification soit l’occasion de changer la donne en France en nous dotant notamment d’une législation de référence pour éradiquer les violences sexistes et sexuelles au travail et créer des droits pour les victimes de violences y compris conjugales à l’image du Canada, de l’Espagne, des Philippines, ou encore de la Nouvelle-Zélande.
Ainsi, nous souhaitons l’amélioration du droit français sur les points développés ci-dessous, qui doivent donc être pris en compte dans l’étude d’impact.
Alors qu’en France, 30% des salariées ont déjà été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail la quasi-totalité des employeurs n’a toujours aucun plan de prévention pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Il est urgent d’en faire un sujet obligatoire de négociation à tous les niveaux sous peine de sanction pour les employeurs. L’ensemble des professionnel·le·s, des représentant·e·s du personnel et des salarié·e·s doivent être formé·e·s et sensibilisé·e·s pour lutter contre ces violences.
En France, 70 % des victimes de violences au travail déclarent n’en avoir jamais parlé à leur employeur. Et pour cause, quand elles le font, 40 % estiment que la situation s’est réglée en leur défaveur, par une mobilité forcée voire un licenciement. Dans la lignée de la convention adoptée à l’OIT, la France doit sécuriser l’emploi et la carrière des victimes de violences, que celles-ci aient un lien avec le travail ou non, en mettant en place plusieurs mesures : le droit à des aménagements d’horaires, de poste, des congés payés, la possibilité d’une mobilité fonctionnelle ou géographique choisie, ainsi que l’accès à une prise en charge médico-sociale et psychologique des victimes sans frais. Pour garantir le droit au travail et le maintien en poste des femmes victimes de violences conjugales, il convient d’interdire leur licenciement comme c’est le cas pour les victimes de violences au travail.
La convention et la recommandation de l’OIT pointent aussi la nécessité de garantir l’effectivité du droit des victimes d’être accompagnées et défendues. Nous pensons nécessaire d’élargir les prérogatives des conseillers du salariés au harcèlement sexuel pour permettre à tou.te.s les salarié.e.s dans des entreprises sans institutions représentatives du personnel d’être accompagné.e.s face à l’employeur. Dans les entreprises avec IRP, il nous semble que la ratification devrait être l’occasion de faire le bilan de la mise en place des référent.e.s harcèlement et violences et d’examiner les leviers à actionner pour renforcer leurs possibilités d’action (formation, moyens…).
Enfin, la France a aussi une responsabilité à l’étranger à travers l’activité de ses multinationales. Dans le cadre du devoir de vigilance, il est nécessaire d’imposer aux entreprises de prévenir la survenance de telles violences dans l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement.
Restant à votre disposition pour tout échange complémentaire, nous vous remercions d’avance de l’attention que vous voudrez bien accorder à ces demandes et vous prions d’agréer l’expression de nos sentiments les meilleurs.
Sophie BINET
Dirigeante confédérale de la CGT en charge des droits des femmes
Béatrice Clicq
Secrétaire confédérale de FO en charge de l’égalité femmes/hommes
Mireille Dispot
Secrétaire confédérale nationale de la CFE-CGC à l’égalité des chances
Béatrice Lestic
Secrétaire nationale de la CFDT en charge des droits des femmes