Cinq ans après l’index, toujours pas d’égalité, Cinq ans après l’index, toujours pas d’égalité, telle est la conclusion du rapport du Haut conseil à l’égalité (HCE) entre les femmes et les hommes du 6 mars 2024. Celui-ci fait un premier bilan de cet outil mis en avant par les pouvoirs publics en 2018 pour mettre fin aux inégalités salariales, en introduisant une obligation de résultats (réduire les inégalités) et pas seulement de moyens (négocier l’égalité et avoir un accord ou plan d’égalité).
Or, le compte n’y est toujours pas. Les notes à l’index des entreprises sont excellentes (88/100 en moyenne en mars 2024), alors que les écarts de salaires stagnent (toujours autour d’un quart en moins, tout confondu).
Rappelons que l’index est composé de quatre à cinq indicateurs (selon la taille de l’entreprise) : l’écart de rémunération par CSP et âge (sur 40 points calculés à partir d’un barème) ; la part des femmes et des hommes ayant obtenu une augmentation individuelle (20 points) ou une promotion (15 points, calculée seulement pour les entreprises de plus de 250 salarié·es) ; le nombre de femmes ayant obtenu une augmentation de retour de congé maternité (15 points) et enfin la part des femmes (ou des hommes) dans le top 10 des rémunérations (10 points). Le total des points doit dépasser 75 sur 100, sinon des sanctions peuvent être envisagées.
Les nombreuses critiques de l’index
Le rapport du HCE reconnait que l’index a des aspects positifs : il a le mérite « de donner un regain d’attention et de visibilité au sujet, en entamant cette « illusion de l’égalité » qui pouvait parfois exister ». C’est un outil pédagogique d’apprentissage du droit de l’égalité et de non- discrimination, introduisant des indicateurs qui concernent en partie la carrière et pas seulement les écarts salariaux à un instant T. Enfin, du point de vue des employeurs, l’index joue un rôle de « label », en valorisant les entreprises les plus vertueuses et en permettant des comparaisons, voire une émulation entre entreprises.
Mais, car il y a bien un mais, les critiques sont nettement plus nombreuses dans le rapport de cet organisme où siège l’autrice de cette chronique.
Tout d’abord l’index est loin d’être calculable par toutes les entreprises : seules 1 % des entreprises sont couvertes, ce qui représente environ 26 % des salarié·es. Non seulement les entreprises de moins de 50 salarié·es en sont exclues, mais l’index est aussi souvent incalculable (indicateurs impossibles à renseigner en cas d’effectif insuffisant). L’Institut des politiques publiques a d’ailleurs montré que l’index n’a pas eu d’effet réel sur les écarts salariaux. Enfin selon la Cour des comptes, seules 42 entreprises ont été sanctionnées, ce qui représente… 0,4 % des entreprises n’ayant pas déclaré leur index ou ayant une note inférieure à 75 sur 100…
Des critiques portent ensuite sur la construction même de l’index, qui explique les bons résultats obtenus. C’est sur le premier indicateur que se focalise le cœur des objections : on applique en effet un « seuil de tolérance » de 5 % à chaque étape du calcul de l’écart des salaires (écarts par CSP et catégorie d’âge). Qui plus est, un barème très progressif permet d’obtenir des points même en ayant des écarts : une entreprise peut avoir 75 sur 100 à son index, même avec un écart salarial de 20 %, pour peu qu’elle ait obtenu le maximum de points aux autres indicateurs. Les choix méthodologiques sont critiqués : il n’est question que d’écarts de salaires pour des postes équivalents et non de postes de valeur égale, principe pourtant imposé par la loi et réaffirmé dans la nouvelle Directive européenne (voir ci-dessous) ; une part seulement des rémunérations variables est intégrée ; le temps partiel qui pèse sur les bas salaires et reste très féminisé est neutralisé…
Pour ce qui est des autres indicateurs, retenons que seul le nombre de femmes et d’hommes sont retenus dans le calcul des augmentations ou promotions ou même d’augmentations au retour de congé maternité, mais pas les montants attribués aux unes, comparés aux autres…
Une directive européenne importante
La directive européenne dite « transparence » visant à renforcer l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes a été adoptée le 7 juin 2023. Les Etats membres ont jusqu’en juin 2026 pour la transposer. Cette directive vise à renforcer l’égalité « pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations ». Parmi les points principaux et novateurs figure donc tout d’abord une exigence de transparence sur les écarts de rémunérations (en totalité, toutes primes comprises) : les employeurs doivent présenter les critères déterminant la rémunération, les niveaux et la progression des rémunérations. Ces critères devant être « objectifs et non sexistes ». De même un droit à l’information sur les rémunérations est introduit, permettant de connaître les niveaux de rémunérations individuelles des collègues effectuant un travail de valeur égale. Des moyens efficaces seront mis en place pour contraindre l’employeur à fournir des informations même jugées confidentielles.
Le second levier important prévu par cette directive concerne l’égalité des rémunérations pour un travail « de valeur égale » et pas seulement pour un travail égal. Ce principe existe depuis longtemps dans le droit français (dès la loi de 1972), mais n’est toujours pas appliqué dans notre pays. Les résistances, notamment patronales, sont fortes, comme nous avons eu l’occasion de le démontrer[1]. La directive impose aux Etats membres « de mettre en place des outils et des méthodes permettant d’évaluer et de comparer la valeur du travail à l’aune d’un ensemble de critères objectifs incluant les exigences en matière de parcours éducatif, d’expérience professionnelle et de formation, les compétences, le niveau d’efforts requis et les responsabilités, le travail entrepris et la nature des tâches à accomplir ».
Par ailleurs, différents articles renforcent le rôle des instances représentatives du personnel à travers un « rapport d’évaluation conjointe des rémunérations », qui est obligatoire à partir d’un écart de rémunération injustifié de 5 %. L’employeur devra alors corriger cet écart dans un délai « raisonnable ». Enfin, la directive introduit un renversement complet de la charge de la preuve : c’est à l’employeur de prouver qu’il n’y pas discrimination. De même, les sanctions doivent être « effectives, proportionnées », mais aussi « dissuasives », ce qui n’existe pas en France en matière de sanctions civiles.
Quelles préconisations pour améliorer l’index ?
Le 16 octobre 2023, au sortir de la conférence sociale, l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne a annoncé que des négociations devraient s’ouvrir en vue de transposer cette directive et de modifier l’index. Plusieurs pistes ont été mises en avant dans le rapport du HCE qui paraissent incontournables, même si certaines n’ont pas été totalement convergentes et ont rencontré un refus de la part des organisations patronales.
En premier lieu, les inégalités salariales doivent être observées non seulement à poste égal mais aussi à poste de valeur égale, c’est-à-dire entre des postes équivalents, mais occupés majoritairement par des femmes et par des hommes. De même, tous les éléments variables de la rémunération doivent être intégrés au calcul. Ces deux mesures n’ont pas fait débat car elles découlent de la directive. Il y a également unanimité pour introduire une automatisation du calcul par les pouvoirs publics, à partir des données de la déclaration sociale nominative.
En outre, une majorité des membres du HCE est favorable à l’intégration de nouveaux indicateurs sur le temps partiel et les bas salaires, à la suppression du seuil de tolérance de 5 % et à une révision des règles de calcul de l’index pour qu’il soit calculable dans une grande majorité d’entreprises. Une majorité est aussi favorable à prendre en compte les montants attribués dans les augmentations et les promotions. De même, le renforcement des sanctions administratives et l’amélioration des moyens de contrôle et de suivi de l’inspection du travail est proposé. Enfin, l’idée « d’éga-conditionnalité » a été évoquée : il s’agit de réserver l’accès aux marchés publics aux entreprises ayant eu une bonne note à cet index revisité…
Mai 2024, Rachel Silvera
[1] Lemière Séverine, Silvera Rachel, « Un salaire égal pour un travail de valeur égale : un principe international qui ne s’impose toujours pas en France », in Blanchard Soline, Pochic Sophie, Quantifier l’égalité au travail. Outils politiques et enjeux scientifiques, PUR, 2021.