Il y a déjà cinq ans, le 5 octobre 2017, l’actrice Alyssa Milano lançait sur les réseaux sociaux le hashtag #metoo. Elle appelait les femmes à dénoncer les violences sexistes et sexuelles, à la suite des révélations de plusieurs actrices sur les crimes sexuels du producteur Harvey Weinstein. Et ce fut un véritable raz-de-marée… La parole s’est libérée, dans de nombreux milieux, du spectacle, mais aussi au sein des médias, dans le champ du sport et de la politique, et plus généralement dans tous milieux professionnels, d’abord aux Etats-Unis, mais désormais un peu partout dans le monde.

L’effet incontestable de ce mouvement est en effet d’avoir permis à des millions de femmes de témoigner, de façon souvent informelle, de toutes formes de violences subies, qu’il s’agisse de propos ou comportements sexistes, d’harcèlements ou d’agressions sexuelles, dont le viol. Selon l’historienne féministe Françoise Picq, « ce qui était considéré il y a cinq ans comme quelque chose d’inhérent à la condition féminine, l’existence d’une domination par les hommes, avec des violences sexistes et sexuelles, devient de plus en plus inacceptable ».

Jamais il n’y a eu en France et ailleurs autant de témoignages, même si, comme le rappelle Françoise Picq, durant les années 1975-1978, des féministes françaises voulaient porter en justice des faits de viol.

« Pour la première fois, les féministes faisaient appel à la justice et voulaient attaquer en justice les violeurs avec l’intention de transformer le tribunal en tribune. Et de démontrer que ce n’était pas une affaire de méchants violeurs, que c’était la société tout entière qui reposait sur ce qu’on appelle aujourd’hui la « culture du viol ». Cette affaire-là a été très violente. Les avocates parties civiles pour les femmes violées ont été traînées dans la boue. Ça a été d’autant plus dur que la justice n’a pas voulu entendre la plaidoirie politique. »

Aujourd’hui, ces féministes ont enfin en partie obtenu gain de cause : la vague #metoo est d’une ampleur inégalée, parce que l’effet d’entraînement et d’amplification des réseaux sociaux est sans précédent…

Mais seulement 0,6% de condamnations pour viol…

Les dernières données disponibles sont pourtant inquiétantes : l’étude sur les féminicides dans le couple, tout d’abord publiée le 16 août 2022 par le ministère de l’Intérieur, révèle que cent-vingt-deux femmes sont mortes en 2021 sous les coups d’un conjoint ou d’un ex-conjoint, soit une hausse de 20 % entre 2020 et 2021.

Par ailleurs, la dernière enquête disponible du ministère de l’Intérieur et de l’Insee, « Cadre de vie et sécurité »est sans appel : en 2020, 112 000 personnes majeures ont déclaré avoir subi un viol ou une tentative de viol mais seulement une sur dix a porté plainte, 4 577 personnes ont été poursuivies pour viol (dont 99 % d’hommes) et 683 condamnées… soit 0,6 % de l’ensemble des viols déclarés chaque année. Ce chiffre est en baisse de 31 % par rapport à 2019.C’est pour cela qu’à l’occasion de cet « anniversaire », le Haut conseil à l’égalité (HCE) s’inquiète de cette diminution, et du faible poids de la Justice en la matière. Selon le HCE, ce recul s’explique tout d’abord par la requalification de nombreux viols en délit et non en crime. Il insiste par ailleurs sur « le manque criant de moyens, de formation et de compréhension des mécanismes des violences chez les professionnel·les chargé·es de les recueillir, les instruire et les condamner ».

Comme l’exprime Anne-Cécile Mailfert de la Fondation des femmes, #metoo a en effet déclenché une demande très forte auprès des associations de terrain qui n’ont pas les moyens d’intervenir. Les subventions de ces associations n’ont pas été augmentées face à l’afflux de victimes. « A cela s’ajoute le mépris pour ces professionnelles qui n’ont pas vu leurs salaires revalorisés lors du Ségur alors qu’elles étaient en première ligne quand les violences intrafamiliales se multipliaient durant les confinements », explique-t-elle. Et de dénoncer ainsi « cette double impéritie – une justice qui reste bras croisés et un Etat qui rechigne à soutenir les associations de lutte contre les violences ». 

Pour que justice soit faite…

Or tant que le nombre de condamnations sera aussi faible, tant que les moyens disponibles ne seront pas à la hauteur des enjeux, on peut craindre –  et en même temps comprendre –  des tentatives de contournement de la justice, par des mises en cause sur les réseaux sociaux. Selon Magali Fourcade, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans Le Monde du 5 octobre 2022, ce faible nombre de condamnations impose de nouvelles façons de traiter ces situations. A commencer par un accueil digne, global et efficace des victimes, à l’instar de la Belgique.

Elle insiste également sur la façon de conduire les enquêtes pour « sortir les agresseurs de l’impunité », à partir de l’expérience du parquet de Grenoble qui a mis en place une nouvelle méthode d’enquête extrêmement rigoureuse. La spécialisation des juridictions, prônée d’ailleurs par la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Rome, permettrait également de pallier en partie à cet échec.

Enfin, Magali Lafourcade plaide pour une nouvelle incrimination de « contrôle coercitif » en matière de violences conjugales, permettant de « mieux protéger les femmes sous emprise » et de mieux définir les viols et les agressions sexuelles par la notion de non-consentement, selon la convention d’Istanbul, ratifiée par la France en 2014. Car selon elle, « il est impératif de remettre la justice au cœur de la cité comme du débat ». C’est aussi l’un des effets positifs de #metoo : de faire avancer le droit et la justice !

Par Rachel Silvera

@Alternatives Economiques

#metoo, 5 ans après… | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

Portrait de Rachel Silvera en dessin
Rachel Silvera Maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre