Christiane Marty, militante féministe d’Attac a publié un texte en décembre 2022 sur la réformes des retraites et son impact sur les femmes.
Après avoir proposé en 2019 un système de retraites unique par points, présenté au nom de l’équité, en refusant catégoriquement toute modification de l’âge de départ, le président Macron a totalement changé d’option pour soutenir en 2022 un recul de l’âge légal à 65 ans. La justification de ce recul vient d’évoluer sensiblement, puisque jusqu’à présent, n’étaient invoquée que la nécessité d’assurer l’équilibre financier. Constatant probablement que ce discours ne convainquait pas grand monde, l’objectif d’une réforme juste vient de réapparaître. Ainsi, le ministre du travail Olivier Dussopt a assuré mercredi 30 novembre que la réforme a « un double-objectif absolument majeur : à la fois améliorer notre système, parce qu’il est injuste (…) et le redresser puisqu’il est en déficit ». La première ministre, Élisabeth Borne, a poursuivi sur ce nouveau registre en déclarant le 1er décembre que « pour faire une réforme juste pour les femmes, l’âge d’annulation de la décote restera à 67 ans » !
On ne reviendra pas sur la question du déficit, déjà assez largement démontée par ailleurs, pour commenter simplement ici la question des retraites des femmes : l’injustice majeure que constituent les inégalités de pension entre les femmes et les hommes n’est pas du tout prise en compte dans le projet de réforme, alors même qu’elles augmenteront très certainement avec les mesures de recul de l’âge et/ou d’allongement de la durée de cotisation. La pauvreté de nombreux et surtout nombreuses retraitées ne semble pas concerner nos dirigeants.
Ce qui suit reprend certains des éléments présentés dans le texte Retraites saison 2022.
Rappel de la situation des inégalités de pension entre les femmes et les hommes
Ces inégalités de pensions résultent des inégalités de salaire et de durée de carrière, et aussi du fait que les femmes sont plus souvent à temps partiel que les hommes. Mais de fait, la retraite amplifie les inégalités de salaires : si les salaires des femmes sont inférieurs en moyenne de 22 % à ceux des hommes (Insee 2022), leurs pensions de droit direct (c’est-à-dire sans la réversion) sont inférieures de 40 % à celle des hommes (Drees 2022). Les carrières des femmes s’améliorant au fil du temps, les pensions des dernières générations parties en retraite sont supérieures à la moyenne de l’ensemble des retraité·es[1]. Mais même en considérant les départs récents en retraite, l’inégalité reste importante : la pension moyenne de droit direct des femmes de la génération 1953 est encore inférieure de 33 % à celles des hommes.
Une réduction des inégalités très lente, et même stagnante
Lorsque nos dirigeants sont interpelés sur cette question, la réponse régulière est que ces inégalités se résorbent au fil du temps. En réalité, cette réduction est très lente : selon le Conseil d’orientation des retraites, COR, le rapport pension des femmes sur pension des hommes devrait atteindre 84 % en 2037 et augmenter ensuite plus modérément… sans atteindre l’égalité : il se stabiliserait à terme autour de 90-92 % !
On peut pourtant craindre que ces projections, toutes insatisfaisantes qu’elles soient avec cet écart supposé pérenne, soient optimistes : si on les met en regard avec la situation observée depuis quelques années, on constate en effet depuis 7 ans (courbe de gauche) une stabilisation du rapport Pension des femmes/Pension des hommes, et on ne voit pas bien ce qui peut expliquer la brusque augmentation qui est projetée à partir de 2020 (courbe de droite, partie grise).
La baisse en cours du niveau des pensions est plus grave pour les plus faibles pensions des femmes
Les réformes passées ont pour conséquence une baisse continuelle du niveau des pensions relativement aux salaires.
Pension moyenne de l’ensembledes retraité·es, relative au revenu d’activité moyen, COR 2022
Cette baisse a des effets plus graves sur les plus faibles pensions des femmes : elle aboutit à un taux de pauvreté des femmes retraitées aujourd’hui sensiblement plus élevé que celui des hommes (10,4 % contre 8,5 %), et cet écart a tendance à se creuser depuis 2012[2]. Le passage en 1993 à une indexation des pensions sur l’inflation (qui n’est même pas respectée par ailleurs) et non plus sur le salaire moyen a entrainé des effets qui s’avèrent considérables sur des retraites servies pendant 20, 30 ou 40 ans, comme le soulignait déjà en 2013 le rapport Moreau[3]. Les femmes âgées sont les plus touchées. Le COR note ainsi que le taux de pauvreté des retraité·es augmente depuis 2016 pour les personnes âgées de plus de 65 ans qui vivent seules[4], et parmi elles, il atteint même 16,5 % pour les femmes.
Un minimum de pension à 85 % du Smic, indispensable mais insuffisant
Augmenter le minimum de pension est bien sûr très positif, mais l’annonce d’un minimum à 85 % du SMIC pour une carrière complète ne fait que reprendre ce qui était déjà prévu dans la loi de 2003… et il n’a jamais été appliqué. Le montant de 1200 euros par mois est aujourd’hui évoqué, mais sans aucune date. De plus, rappelons d’une part que les personnes aux plus faibles retraites ont rarement une carrière complète, ce qui fait que le minimum de pension sera calculé au prorata de la durée de carrière réalisée par rapport à la durée exigée. Donc un montant plus faible que ce minimum. D’autre part, cette augmentation du minimum ne concernera que les nouveaux départs en retraite, et non l’ensemble des personnes retraitées. Aucune amélioration donc pour les personnes retraitées en situation de pauvreté.
L’allongement de la durée de cotisation pénalise les carrières courtes
L’allongement de la durée de cotisation, envisagé pour être couplé avec un recul « limité » à 64 ans au lieu de 65 ans, est injuste : il pénalisera les personnes qui ont des carrières courtes et qui, déjà aujourd’hui, n’atteignent pas la durée de cotisation exigée. Ce sont en majorité des femmes. Il est exact que la durée de carrière des femmes augmente au fil des générations, du fait surtout de la montée en charge de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), introduite en 1972, qui permet de compenser en partie les interruptions de carrière des femmes liées aux enfants. Mais leur durée de carrière reste encore inférieure à celle des hommes, de plus de 2 ans pour la génération 1950 (graphe ci-dessous). La durée de cotisation exigée va atteindre 43 annuités à partir de la génération 1973, alors que la durée de carrière validée décroit depuis la génération née en 1955. Cette diminution est due aux entrées plus tardives en emploi, et à la précarisation des carrières. Tout nouvel allongement de la durée de cotisation ne ferait donc qu’aggraver les difficultés de nombreuses personnes, majoritairement des femmes, pour réunir une carrière complète, avec en conséquence une baisse de la pension.
Évolution des durées validées moyennes, selon la génération – Drees 2022
La décote, injuste, touche plus les femmes
C’est ainsi que 8 % des femmes (génération 1950) et 6 % des hommes ont subi une décote[5] sur le montant de leur pension du fait qu’ils et elles n’avaient pas réuni la durée de cotisation exigée. Le montant de la décote est plus important en moyenne pour les femmes. Pour éviter de la subir, ce sont 19 % des femmes contre 10 % des hommes qui ont attendu l’âge auquel la décote ne s’applique plus (aujourd’hui à 67 ans) pour liquider leur retraite[6]. Elisabeth Borne a déclaré que la réforme sera juste pour les femmes car l’âge d’annulation de la décote restera à 67 ans. La décote, très injuste, très pénalisante, sera donc maintenue et annulée exactement au même âge qu’aujourd’hui. Où est le progrès ? Prétendre que la réforme sera juste pour les femmes relève de l’indécence. Un minimum serait de la supprimer.
Le recul de l’âge de départ prolongera la période de précarité entre fin d’emploi et retraite
De nombreuses personnes vivent une situation de précarité entre leur sortie définitive du marché du travail et leur départ à la retraite. Ainsi selon la Drees[7], 32 % des personnes de la génération née en 1950 n’étaient plus en emploi l’année précédant leur retraite, ce chiffre étant plus élevé pour les femmes (37 %) que pour les hommes (28 %). Ces personnes hors emploi étaient au chômage (pour la moitié environ d’entre elles), en inactivité, maladie ou invalidité. Et 23 % des personnes ni en emploi, ni en retraite, des femmes surtout, n’ont aucun revenu personnel ou minimum social, car vivant avec une personne qui a un revenu, et donc dépendant d’elle. Cette situation précaire ne ferait donc que se prolonger avec tout recul de l’âge de départ.
La prise en compte de la pénibilité oublie les femmes
Actuellement, la retraite est trop souvent vue comme une délivrance du fait de conditions de travail difficiles, du stress et de la pénibilité. Celle-ci est très mal reconnue au moment de la retraite, mais bien sûr, il faudrait en parallèle agir en amont pour améliorer les conditions de travail. Dans le nouveau registre d’une réforme devant être plus juste, Élisabeth Borne a déclaré vouloir permettre aux « personnes cassées par le travail » de partir plus tôt. Rappelons accessoirement que c’est le président Macron qui en 2017 a supprimé 4 des 10 critères retenus auparavant pour caractériser la pénibilité. Rappelons aussi que pour l’instant, du fait de biais sexistes, la pénibilité des métiers féminins est très souvent occultée, comme plusieurs études de l’Anact, agence pour l’amélioration des conditions de travail l’ont établi. Il y a donc un vrai travail à faire sur cette question.
Améliorer l’accès à l’emploi des femmes est totalement absent du projet du gouvernement
Les inégalités de pensions entre les sexes sont liées non seulement aux inégalités de salaires mais aussi aux carrières en moyenne plus courtes des femmes. Celles-ci sont en effet souvent interrompues car les femmes se retirent de l’emploi, totalement ou partiellement, lors de l’arrivée d’enfants du fait du manque de modes d’accueil de la petite enfance. La conséquence en est un taux d’activité des femmes inférieur de 8 points à celui des hommes dans la tranche des 25-54 ans : 92 % pour les hommes contre 84 % pour les femmes.
Le discours du gouvernement ne cesse de souligner la dégradation du rapport entre actifs et inactifs, il focalise sur l’augmentation du taux d’emploi des séniors, en soulignant qu’il est inférieur en France à celui des autres pays… et il délaisse totalement le potentiel de la hausse de l’activité des femmes. Il semble ignorer que, côté taux d’emploi des femmes, la France ne se situe qu’au 25ème rang des trente-huit pays de l’OCDE !
Il y a pourtant un fort potentiel d’amélioration de ce taux, et aucune justification à ce que les femmes soient moins intégrées à la population active que les hommes – avoir un emploi est le souhait majoritaire des femmes -, ni à ce que l’emploi à temps partiel soit essentiellement féminin, si ce n’est un renoncement à l’objectif d’égalité. En plus d’être une exigence démocratique, l’égalité des femmes et des hommes en matière d’emploi serait très bénéfique notamment pour le financement des retraites.
Pour donner une idée de ce potentiel, si le taux d’activité des femmes entre 25 et 54 ans avait été égal à celui des hommes en 2021, c’est 1,1 million de femmes de plus qui seraient en activité[8] ! Atteindre l’égalité demandera certes un peu de temps, mais l’invisibilisation actuelle du potentiel lié à l’emploi des femmes, à la fois dans les projections du COR comme dans l’action du gouvernement, n’aide certainement pas… Il serait pourtant possible de lever les obstacles à l’emploi des femmes, notamment en répondant aux besoins en places de crèches (un million d’enfants de moins de trois ans ne trouvent pas de place d’accueil) et en revoyant les modalités du congé parental et paternel pour permettre aux pères ou à tout parent de s’investir auprès des enfants dès leur naissance.
En conclusion,
On a rappelé ici un état des lieux, non exclusif, des inégalités de pension entre les femmes et les hommes. Tout recul de l’âge de départ comme tout allongement de la durée de cotisation ne pourront qu’aggraver la situation des femmes et les inégalités, et ce qui permettrait de les réduire n’est pas prévu.
Le nouveau registre de communication du gouvernement prétendant que la réforme va améliorer notre système injuste aura du mal à passer. Et encore plus l’argument qu’elle serait plus juste pour les femmes.
[1] Ce n’est plus systématiquement le cas, puisque par exemple la pension brute moyenne des personnes ayant liquidé leur retraite en 2019 est devenue inférieure à la pension moyenne de l’ensemble des retraités (1401 € contre 1 430 €) ! La pension moyenne des personnes nouvellement retraitées diminuait année après année depuis trois ans. Et en 2019, elle est même passée sous le niveau de l’ensemble des retraité·es.
[2] Rapport du COR 2022, page 200.
[3] Nos retraites demain, équilibre financier et justice, Rapport au gouvernement, juin 2013.
[4] Id.
[5] Voir en annexe la présentation du taux plein, de la décote et de l’âge d’annulation de la décote.
[6] Drees, Les retraités et la retraite, 2022.
[7] Id.
[8] Calcul extrait des données de l’Insee.