La crise sanitaire a permis à toutes et tous de prendre conscience de l’utilité sociale des métiers du soin et du lien aux autres. Pourtant, ces fonctions, essentiellement assumées par les femmes, sont invisibilisées, délaissées et dévalorisées, et c’est d’ailleurs ce qui rend nos sociétés si fragiles. S’il y avait assez de lits dans les hôpitaux, si nos aîné·es et les personnes en situation de handicap étaient pris·es en charge dignement, il n’y aurait pas de telles difficultés.
Avec la crise du Covid, l’économiste Séverine Lemière et moi-même avons mobilisé chercheur·es, syndicalistes et féministes sur l’importance de cette revalorisation, autour d’une tribune dans Le Monde http://mage.recherche.parisdescartes.fr/wp-content/uploads/sites/17/2020/04/TribuneLeMonde18.4.20.pdf le 18 avril 2020. Mais, ces professions essentielles, hier applaudies au balcon, ne sont toujours pas suffisamment entendues.
Ces professions ont pourtant su se mobiliser ces dernières années, y compris dans des secteurs où l’emploi est isolé, à l’instar des assistantes maternelles – « les gilets roses » qui se sont battues en 2019 – ou encore les aides à domicile, à commencer par la grève longue qui a touché le secteur en milieu rural dans le département du 41, insuffisamment relayée par la presse.
Maltraitance institutionnelle
D’autres luttes ont concerné des infirmier·es et des aides-soignant·es ; des agent·es territorial·les des écoles maternelles (Atsem) ou encore le personnel des crèches, avec notamment le collectif « pas de bébé à la consigne ». Tout récemment et encore aujourd’hui, citons les actions des accompagnantes des élèves en situation de handicap (AESH) et des sages femmes.
Il s’agit la plupart du temps de dénoncer des conditions de travail déplorables, des niveaux de rémunération très faibles, une absence de considération et un manque criant de personnel, conduisant à une « maltraitance institutionnelle ». Mais, ces luttes sont peu médiatisées.
J’avais déjà montré dans une chronique précédente https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/un-salaire-egal-un-travail-de-egale-appliquons-loi/00099969 que cette dévalorisation des métiers féminisés était l’une des causes principales des inégalités salariales. En effet, les rémunérations de ces professions sont particulièrement faibles : en moyenne, 900 euros mensuels pour les AESH ou les aides à domicile, autour du Smic mensuel (1 250 euros net) pour les aides-soignantes et les Atsem, à peine le salaire médian (1 900 euros) pour les professions intermédiaires (infirmières, travailleuses du social, etc.).
Ces emplois sont dévalorisés, parce qu’ils sont très féminisés (entre 80 % et 99 % de femmes les occupent) et qu’on considère qu’ils font appel à des compétences « naturelles » pour les femmes, celles qu’elles mettent en oeuvre au sein de leur famille.
On ne reconnaît pas la totalité de leur qualification et les techniques déployées, les responsabilités sont niées et les conditions de travail invisibilisées.
Par ailleurs, bon nombre de ces secteurs abusent du temps partiel imposé, avec des horaires hachés, et ne proposent pas de véritable déroulement de carrière.
Une importante consultation
Revalorisons les métiers du lien et du soin ! L’objectif de la consultation en ligne « Mon travail le vaut bien https://montravaillevautbien.fr/», financée par l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) pour la CGT sur la revalorisation des métiers du soin et du lien aux autres permettra d’aller plus loin. Cette enquête cible quatorze professions du soin et du lien aux autres : AESH, aide-soignant·e, agent·e d’entretien ou agent·e des services hospitaliers, Atsem, aides à domicile ou auxiliaires de vie, assistant·e maternel·e, assistant·e des services sociaux, auxiliaire de puériculture, éducateur·trice de jeunes enfants, éducateur·trice spécialisé·e, infirmier·e, professeur·e des écoles ou sage-femme. Au total, près de quatre millions de salarié·es sont concerné·es. Cette consultation, ouverte jusqu’à fin janvier 2022, s’adresse à l’ensemble de ces professionnel·les, qu’elles et ils soient ou non syndiqué·es.
L’objectif est de repérer tout d’abord tout ce qu’il y a de commun à ces professions. Il s’agit de cerner le contenu du travail réalisé par toutes ces professionnel·les. On tentera d’évaluer le temps nécessaire pour bien maîtriser son travail, les exigences en termes de formation, de responsabilités notamment sur des personnes, le degré d’autonomie…
En un mot, cette enquête vise à mesurer ici le décalage entre le travail prescrit d’une part, et le travail réel d’autre part. Des questions ont trait également aux contraintes physiques du travail, comme le port de personnes ou le bruit, mais aussi aux contraintes organisationnelles (temps partiel et horaires atypiques), et « émotionnelles », comme la gestion de la souffrance, de situations de violences. La question de la dégradation de la santé par le travail est aussi abordée. Un autre volet concerne la reconnaissance du travail en termes de rémunérations, de satisfaction au travail, du sentiment de bien faire ou non son travail, et enfin de propositions portées par ces salarié·es pour leur revalorisation.
A terme, les résultats de cette enquête donneront des moyens concrets de valoriser ces professions, de faire pression auprès des employeurs publics et privés pour obtenir des négociations en vue de revalorisations salariales, des mesures pour mieux reconnaître enfin ces métiers du soin et du lien et rompre avec leur isolement et leur invisibilisation.
Il est temps de s’inspirer de l’expérience québécoise de revalorisation des métiers féminisés, par des comparaisons d’emplois à prédominance féminine et masculine de même valeur… Une gardienne d’enfant vaut bien un gardien de zoo !
A lire sur le blog de Rachel Silvera https://www.rachelsilvera.org/